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Paris, 4 octobre 1834.

Mon cher ami, autrefois les auteurs d’une certaine portée avoit (sic) des Mécènes. Maintenant, ils n’ont plus de Mécènes que leurs libraires, et cependant il faut que les auteurs vivent. Les libraires en reconnoissent la nécessité.

C’est pour vous dire que vous devriez vous décider sur les Mélanges que plusieurs personnes sont pressées d’avoir, et dont je suis encore plus pressé de me défaire. Je vous ai dit qu’ils formeroient deux volumes qui demanderont un mois de travail auquel je me mettrai à l’instant du marché conclu. C’est un ouvrage éprouvé, dont le débit est sur et qui vous coûtera moins encore que d’habitude…

Je n’insiste là-dessus que pour m’acquitter envers vous d’un devoir de cœur et de probité. L’affaire seroit faite à un prix plus avantageux pour moi si je n’avois voulu vous donner le temps de vous résoudre et s’il ne m’étoit d’ailleurs agréable de parfaire ma collection. Je vous ai déjà dit et je vous répète que mon ami M. Crozet m’a témoigné un désir assez vif de s’en charger, et vous pouvez le savoir de lui-même. C’est un homme d’une probité trop connue pour qu’on puisse le soupçonner d’une déclaration de complaisance.

En un mot, donnez-moi une réponse ou la liberté.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

CHARLES NODIER.


Que Nodier fût ainsi devenu, avec tous ses ouvrages, comme n des piliers de la librairie Renduel, il y a là déjà de quoi s’étonner ; mais ce qui confond, c’est d’apprendre que Viennet lui-même, l’ennemi déclaré de l’école romantique dont il railla souvent avec esprit les exagérations calculées, avait été entraîné par le mouvement général et s’était mis en rapport dès le premier jour avec le nouvel éditeur. Il fit paraître chez lui, dès 1829, deux épîtres politiques : l’une, l’Épître aux convenances ou mon Apologie ; l’autre, Aux mules de dom Miguel, où il flétrissait l’effroyable guerre civile que l’ambition du fils de Jean VI, encouragée par la tacite approbation des pays unis dans la sainte alliance, avait déchaînée sur le Portugal. Viennet combattait alors très ardemment pour les idées libérales, comme rédacteur au Constitutionnel et comme député opposant de la ville de Béziers, seul point sur lequel il fût d’accord avec les écrivains qu’il rencontrait chez Renduel. Il prenait ainsi sa revanche de l’arrêté de M. de Clermont-Tonnerre qui lui avait retiré depuis deux ans son grade de chef d’escadron, pour le punir d’avoir écrit la retentissante Épître aux chiffonniers, spirituelle attaque contre la législation actuelle de la presse. Il appartenait à l’homme qui, lieutenant d’artillerie de marine, avait voté contre le Consulat à vie et contre l’Empire, qui avait refusé plus tard de souscrire à l’acte additionnel des Cent-Jours, de s’élever contre ces massacres et ces exactions, contre tant d’horreurs commises de sang-froid par