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et les musiciens, orné d’un élégant frontispice de Célestin Nanteuil, mais encore il lui acheta 1200 francs son roman provençal : la Sainte-Baume, qui n’avait pas grand mérite et n’eut aucun succès. La nécessité de vivre avait provoqué et la douce souvenance du pays natal avait facilité cette métamorphose passagère du musicien en romancier.

Parmi les lettres de d’Ortigue à Renduel, celles-là sont surtout intéressantes où il parle de son Balcon de l’Opéra, parce qu’elles dévoilent un nouveau trait de charité intéressée de Meyerbeer. On n’en est plus à savoir combien Meyerbeer — même quand il fut l’auteur unanimement applaudi des Huguenots et du Prophète — était sensible au blâme le plus léger ; combien il se faisait petit devant le plus médiocre folliculaire ou le moindre musicien d’orchestre ; combien il déploya de diplomatie et dépensa d’argent pour s’assurer les éloges ou désarmer la critique de tous ceux qui pouvaient avoir une influence sur le sort présent ou futur de ses chers opéras. Deux lettres de d’Ortigue en fourniront une nouvelle preuve, et montreront combien la prévoyance de Meyerbeer s’étendait loin dans l’avenir, puisque, dès cette époque, il savait, sous le couvert d’une protection désintéressée, s’assurer la reconnaissance d’un écrivain très peu considérable et qui aurait pu ne jamais acquérir grand crédit.

Il faut dire, à l’honneur de d’Ortigue, qu’il pouvait accepter cet appui sans rougir, car ses jugemens élogieux sur Meyerbeer étaient l’expression vraie de sa pensée, et il n’eut aucunement besoin de faire violence à ses opinions pour louer par la suite l’auteur des Huguenots comme celui-ci désirait qu’on le louât. La sincérité de son admiration est suffisamment prouvée par ce fait qu’après la mort de Meyerbeer, alors qu’il pouvait sinon réfuter, du moins atténuer ses éloges antérieurs, personne n’étant plus là pour lui rappeler le service rendu, il les confirma, tout au contraire, et consacra trois grands feuilletons des Débats à étudier et à louer la partition de l’Africaine. Mais il n’en est pas moins vrai que cet encouragement de Meyerbeer venait à point, car Robert le Diable allait être joué à la fin de 1831, et d’Ortigue en devait faire le compte rendu à la Revue de Paris. L’article fut des plus élogieux, et occupa naturellement une place d’honneur au Balcon de l’Opéra.


25 janvier 1831.

Monsieur,

Il m’est venu dans l’idée qu’il convient, ce me semble, de faire une remise aux personnes qui se chargent d’un certain nombre d’exemplaires : c’est bien le moins, n’est-ce pas, monsieur ? Je puis donc prévenir celles qui prendront la chose à cœur.