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autre chose que d’énergiques circulaires et d’énergiques présidens pour amener un changement définitif dans cet état de choses ; il faudra imposer à tous, par des réformes d’ensemble, un débat plus rationnel, plus calme, et peut-être, hélas ! ennuyeux.

Cependant les dépositions sont finies et les jurés ne sont pas au bout de leurs épreuves. Aux incidens de toutes sortes, aux témoins, aux experts, sur le rôle desquels il faudra revenir, va succéder le duel oratoire. Le jury maintenant va se trouver face à face avec son plus redoutable adversaire : l’éloquence. Nous examinerons ailleurs le réquisitoire et les plaidoiries, qui forment des élémens distincts dans le mécanisme de la Cour d’assises. Quand l’avocat s’est tu, c’est le jury qui a la parole et sa tâche active commence.


XVII

Le débat est clos : les douze jurés ont quitté l’audience et les voilà, portes gardées, dans le refuge silencieux où va s’élever la voix de leur conscience, où leur « intime conviction » doit enfin déclarer le verdict. Quel est leur état d’âme ? Celui d’un despote ignorant et bien intentionné. Ils croient à leur « omnipotence », et ce trait, au dire des hommes qui connaissent le mieux le jury anglais, est un de ceux qui distinguent profondément le juré français du juré britannique[1] ont transporté nos juges, c’est là qu’ils planent en possession paisible du pouvoir souverain et du droit qu’on leur a prêté de « faire grâce ». En quel sens exercer leur pouvoir ? Nous savons que dès leurs premiers pas au labyrinthe de l’audience le fil conducteur a glissé de leurs doigts, et qu’aucune Ariane n’est venue les remettre sur le bon chemin. Mais, de droite et de gauche, des voix passionnées, suppliantes ou vengeresses, leur ont crié dans l’obscurité des appels confus, entre-croisés, contradictoires. Ils ont eu des opinions troubles, mollement aperçues et vite délaissées : tel argument leur sembla digne de remarque ; tel autre les a indignés ; ce témoin a plu : quel dommage que sa déposition ait été contredite par la conclusion de l’expert ! mais le « savant expert » lui-même n’est-il pas convaincu de stupidité par la lecture que l’avocat a faite de dix lignes choisies dans l’ouvrage d’un autre savant homme, le vrai savant celui-là ? Comment additionner ces impressions rivales et en extraire l’intime conviction ? La loi offre un moyen : c’est le délibéré.

  1. . Au-dessus de la loi, dans la région des fantaisies et du caprice, c’est là que les flatteurs Mittermaier, Traité de la procédure criminelle en Angleterre, en Écosse et en Amérique. — Stephen, Juryman’s guide, p. 135, Styles, p. 222.