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se taire au moment où la loi et la logique de son rôle lui commandent de parler, et une autre voix, celle du président, va s’élever à la place de la sienne. Ce président puisera toujours dans la procédure écrite les élémens de ses récits, de ses appréciations, de ses questions, et il donnera aux jurés ce spectacle troublant d’un accusateur, et le plus redoutable, surgissant contre toute attente à la place même du juge. En effet, à cet instant où, d’après la loi, le premier témoin devrait s’avancer à la barre, le président prend la parole, et si l’affaire est compliquée, si c’est une cause célèbre, il parlera longtemps : pendant une audience, deux audiences peut-être. C’est l’interrogatoire du président d’assises.

Nous verrons dans une autre partie de ces études ce qu’est cet interrogatoire, de quels malentendus et de quelles erreurs il est l’effet et la cause. Ici notons seulement à quel moment il se place et rappelons ce qu’en a dit un célèbre criminaliste[1] : « Après l’exposé préliminaire, le président est dans l’usage d’interroger l’accusé ; cet interrogatoire porte sur tous les faits de l’accusation. L’accusé est pressé de questions, il faut qu’il explique sa conduite, sa position, ses antécédens, qu’il fasse connaître son système de défense. Nous ferons à cet égard une seule observation : c’est qu’aucune disposition de la loi ne prescrit ni n’autorise un tel interrogatoire ; il ne semble même pas que le législateur l’ait prévu ; car l’article 315, immédiatement après avoir recommandé au ministère public d’exposer le sujet de l’accusation, prescrit l’interrogatoire des témoins. Ainsi, dans l’esprit de la loi, l’accusé n’est soumis à aucun examen personnel. » « Nous protestons, dit en terminant M. Faustin Hélie, contre la généralité d’un usage qui est devenu presque une règle. »

Mais, nous le répétons, nous n’avons pas le dessein d’insister ici sur ce sujet si important. Qu’il nous suffise d’avoir indiqué la succession des événemens qui se déroulent aux yeux du jury, et d’avoir ainsi montré comment le débat a pu dévier gravement de sa marche rationnelle, ainsi que des vues du législateur.

Il est vrai que l’exposé du procureur général est traité par beaucoup de jurisconsultes de « superflu », de « périlleux » et même de « surabondant ». Il serait surabondant sans doute, s’il prenait place entre deux longs réquisitoires que la loi n’a jamais voulus. Il serait utile et rationnel au contraire si le moderne acte d’accusation et le moderne interrogatoire disparaissaient de nos habitudes judiciaires, et si cet exposé initial du ministère public servait seul à indiquer sommairement le fait à prouver et les charges à produire.

  1. Gazette des Tribunaux des 4, 13, 17 janvier 1843.