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que préconisait, il y a près d’un demi-siècle, un magistrat éminent dont le nom est déjà venu sous notre plume : M. Bonneville de Marsangy. « Cette suppression, disait-il, déchargerait les parquets des cours impériales de l’énorme travail qu’impose la rédaction des six mille actes d’accusation dressés chaque année. » On voit que du temps où M. Bonneville de Marsangy écrivait, les actes d’accusation n’étaient pas courts, et que les jurés avaient six mille affaires. Ils en ont moins de la moi lié maintenant, mais les actes d’accusation sont encore plus longs, et par conséquent plus éloignés encore de la forme légale.

Il serait bien aisé de remplacer la lecture de ces actes par celle de l’arrêt de renvoi, qui est la source unique des questions posées au jury. Et cette suppression serait, semble-t-il, d’autant plus naturelle, qu’aussitôt après la lecture de l’acte, le procureur général a la parole pour exposer le sujet de l’accusation ; et il semble bien que cet exposé verbal fait double emploi avec l’exposé écrit.


XIV

Mais… il y a un mais considérable ! Cet exposé oral prescrit par la loi n’a plus lieu ; il est tombé en désuétude. L’article 315 qui le prescrit est en pleine vigueur, mais on y contrevient dans la pratique. Précisons bien ces points : d’après la loi, voici l’ordre des procédures à l’audience. D’abord la lecture de l’arrêt de renvoi, et, si l’on veut, d’un acte d’accusation impartial et sommaire tenant en quelques lignes. Ensuite le président doit dire à l’accusé seulement ces mots : « Vous êtes accusé de tel crime ; vous allez entendre les charges qui seront produites contre vous. » Aussitôt après intervient la prescription de l’article 315 ; elle est ainsi conçue : « Le procureur général exposera le sujet de l’accusation ; il présentera ensuite la liste des témoins qui devront être entendus. » Alors, et tout de suite, sans que rien, semble-t-il, puisse intervenir entre l’exposé de l’accusation et le défilé des témoignages, commencera la preuve orale, le débat. C’est la loi, cela ; c’est la constitution d’un débat libéral et logique, analogue au débat anglais dans ses grandes lignes : un accusé et un accusateur, qui, tout de suite aux prises, luttent dans cette arène ; et au-dessus, bien haut, rassurant le juré que peut-être ont troublé les passions de la lutte, l’arbitre incontesté, le magistrat, le juge. Voilà donc la loi ; quelle est la pratique ?

Nous avons vu tout ce début d’audience envahi par un réquisitoire qui a été composé sur les élémens d’une procédure mystérieuse. Maintenant, ce qui est autrement grave, l’accusateur va