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Il fallait au jury une analyse de quelques lignes, impartiale et limpide : c’est un très long réquisitoire que le greffier lui lira. Ainsi détourné de son but, ce document n’a plus, ni la clarté qui permettrait au jury de saisir le fait dans sa physionomie générale, ni l’allure strictement impartiale qui, au premier mot, rassurerait la conscience de ces juges soupçonneux. Ils se sentent troublés au contraire. Comment ! c’est au combat oral, à la procédure publique, que vous les conviez, et le premier acte de cette procédure, avant que quiconque ait ouvert la bouche, est un long réquisitoire qui dispose les faits au point de vue de l’accusation, et risque, avant que la défense ait été entendue, de produire une impression définitive ? Les jurés sentent obscurément le péril ; leur méfiance augmente ; et l’effet produit est certainement tout opposé à celui que pourrait attendre de son réquisitoire un rédacteur passionné. d’ailleurs (et c’est là un fait d’expérience sur lequel nous insisterons) tout ce qui est fait de partial et d’excessif en faveur de l’accusation tourne contre elle, dispose le jury aux acquittemens imprévus. Pour l’acte d’accusation, une circonstance extérieure prévient généralement ses mauvais résultats : il est lu de façon si indistincte qu’il faut le plus souvent renoncer à le suivre. Dès lors pourquoi maintenir ces longs morceaux de prose qui, s’ils ne servent pas la justice, ne sont pas non plus très utiles aux lettres ? De quel vain travail surchargent-ils les parquets sollicités par tant de besognes pressantes ?

Qu’on veuille bien songer que lorsqu’un amant a tué sa maîtresse, par exemple, le récit de ce fait criminel, qui résulte d’abord des procès-verbaux, des constatations, de tous les témoignages, est repris, dans son ensemble et avec forme littéraire, une première fois par le juge d’instruction, une seconde fois par le substitut du procureur de la République dans son réquisitoire définitif, une troisième fois par le juge d’instruction dans son ordonnance, une quatrième fois par la Chambre des mises en accusation dans l’exposé qui précède son arrêt, une cinquième fois par le procureur général dans son acte d’accusation. C’est beaucoup ! En Angleterre, neuf fois sur dix, l’indictment est ainsi conçu : « Messieurs les jurés, le prisonnière la barre est accusé d’avoir tué volontairement X… ; il plaide qu’il n’est pas coupable. Maintenant il vous appartient de voir s’il est coupable ou non. »

Il est clair que, si nos documens judiciaires étaient rédigés dans un goût aussi sobre, il ne prendrait à aucun journal l’envie de les publier au prix d’une légère amende.

Pourquoi d’ailleurs n’irait-on pas jusqu’à supprimer la lecture inutile ou dangereuse de l’acte d’accusation ? C’est la solution