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qui se déroule devant lui. Mais comme on va fatiguer, égarer cette attention novice ! Il faudrait élaguer impitoyablement ce qui peut l’épuiser, la distraire, et il semble au contraire qu’une conspiration universelle va tendre à l’écarter du point où un effort commun devrait la concentrer.

Au début de l’audience du moins, cette attention a encore toute sa fraîcheur ; c’est à l’audition de l’acte d’accusation qu’elle s’applique d’abord.


XIII

Donc, le greffier, d’une voix monotone, « déblaie » l’acte d’accusation. Et il faut, à ce moment, tandis que les jurés font effort pour le suivre, revenir à une idée que nous avons exprimée déjà dans la première partie de ces études. Nous croyons à la nécessité des réformes et nous le dirons clairement, mais avant de toucher aux lois existantes, il convient de rechercher si elles sont appliquées et si leur esprit n’est pas méconnu. Quand il s’est agi de déterminer la compétence de la Cour d’assises, nous avons dû montrer que la loi n’est point appliquée. A l’audience, à présent, dès les premiers mois prononcés par le greffier, nous allons constater qu’en fait et en pratique, soit dans la conception générale du débat, soit dans plusieurs dispositions particulières importantes, la loi est ouvertement méconnue.

On sait dans quel esprit d’hostilité contre l’institution du jury le code de 1808 a été rédigé. Cependant la conception anglaise du débat, cette conception libérale dont les lois de la Révolution avaient fait le fondement de la nouvelle juridiction criminelle, n’avait point, dans les lignes principales, disparu du Code impérial. C’est insensiblement, et par un mouvement parallèle à celui de la correctionnalisation, que le débat a pris un aspect que le législateur n’avait pas prévu.

Prenons d’abord l’acte d’accusation. Que devrait-il être aux termes de la loi ? Un écrit servant à désigner clairement le prévenu et à exposer la nature du crime avec les circonstances qui peuvent aggraver ou diminuer la peine. Et les interprétateurs de cette prescription sont unanimes à déclarer que : « L’acte d’accusation doit se réduire à un résumé décoloré, mais exact et fidèle des actes de l’instruction. » Faustin Hélie ajoute que par suite de circonstances historiques, l’acte d’accusation qui avait jadis une grande importance, a perdu beaucoup de son utilité. Tout conseille donc de réduire cet acte aux proportions les plus élémentaires, mais la pratique suit une marche tout opposée : c’est un sommaire que la loi voulait, c’est un roman qu’on y a substitué.