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rien d’émouvant ou même d’intéressant. Un court débat entre quatre hommes figés dans leur flegme, et c’est tout ! » Les Français cependant s’indignent à l’occasion du côté théâtral de leur Cour d’assises, des passions, des rumeurs, des gaîtés qu’elle excite. Mais en cela comme en bien des choses, ils blâment ce qu’ils aiment le mieux, montrant que leur esprit a assez de justesse pour critiquer ce que leur tempérament a voulu. Rentrons maintenant dans la salle brillante où nous avons laissé nos douze jurés parisiens.


X

Un rentier, un médecin, un architecte, un capitaine retraité, un « homme connu » et sept négocians, voilà notre jury de jugement. Quant à l’affaire, parcourons, pour la choisir, le « rôle », de la session. Ce rôle moyen est aisé à composer. Dans une année récente, en 1890, le jury de la Seine a eu à statuer sur 301 accusations, et 473 accusés[1]. Une session moyenne comprend 12 audiences et 18 affaires. En répartissant le plus exactement possible entre les 24 sessions le chiffre annuel de chacune des variétés de crimes déférés au jury, nous trouvons pour notre rôle de quinzaine : 6 vols qualifiés, 3 attentats à la pudeur, 1 abus de confiance, 1 faux, 1 infanticide, 1 assassinat, 2 tentatives de meurtre dits crimes passionnels, 1 banqueroute frauduleuse, enfin 1 délit de presse.

Cette dernière affaire, le délit de presse devant le jury, est tellement spéciale et nous paraît si importante au point de vue des conclusions de ces études, qu’elle sera l’objet d’un examen particulier.

Aujourd’hui nous placerons nos jurés en présence de l’affaire d’assassinat. Ceci, nous l’avouons, est contraire à l’usage qui veut que l’éducation du jury soit progressive, et qu’une affaire simple lui soit donnée le premier jour de la session. Mais, objectera-t-on, qu’est-ce qu’une affaire simple, et qui la juge telle ? En tout cas l’accusation d’assassinat déférée à notre jury n’est pas simple. Elle est assez délicate et assez dramatique pour avoir

  1. Ces 301 affaires ont soumis au jury parisien 473 accusés. Sur ces 473, 148 ont été acquittés (c’est-à-dire 31 pour 100) ; 155 ont été condamnés à des peines correctionnelles ; de sorte que la juridiction de la Cour d’assises n’a appliqué de peines afflictives et infamantes qu’à 170 accusés. A Londres, en 1893, le jury a statué sur 2361 affaires et 3046 accusés. Il y a eu 402 acquittemens (c’est-à-dire 13 pour 100) et 12 verdicts de guilty but insane (c’est-à-dire 12 déclarations de démence). Quatre accusés ont été condamnés à mort, 391 à la servitude pénale, 1 867 à l’emprisonnement, 293 à « d’autres punitions » telles que le fouet, l’amende, etc. La peine du fouet (whipping) a été appliquée, surtout pour « vol simple », à 5 056 personnes en 1893.