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du résumé, ils parviennent séance tenante, dans cinq affaires sur six, à se mettre d’accord. Ils restent à leurs bancs, se consultent rapidement ; l’unanimité obtenue, le chef du jury fait un signe et murmure le mot : guilty. C’est le verdict, ainsi rendu sans formalités solennelles ; la sentence le suit aussitôt. En somme, ces jurés donnent l’impression de gens habitués à leur tâche, familiers avec les débats judiciaires auxquels ils sont contraints de participer très fréquemment ; ils ont une véritable expérience. Comment en serait-il ainsi chez nous ? nos jurés d’exception, de décor, n’ont pas le temps de s’adapter à leur tâche, et leurs essais de novices, forcément maladroits, compromettent l’institution.

Enfin le juré anglais (et cela est une impression capitale) semble fixé dans le calme et la sérénité par sa confiance dans le juge. Au bas de la salle, aux pieds de cet homme, il y a le doute, le débat, peut-être le mensonge. On a dit blanc « pour la couronne », on a dit noir « pour le prisonnier ». Des témoins, habilement interrogés, ont perdu pied et se sont contredits. À Paris on eût fait appel aux passions ; à Londres, on a poussé le jury (c’est de ce côté qu’il penche) vers les périls d’une casuistique subtile… Pour calmer sa conscience, le juré n’a eu qu’à regarder au-dessus du débat le juge qui le dirige. Moins il intervient, plus il semble plongé dans ses notes, plus son autorité est grande quand il faut, dans un cas décisif, admettre ou rejeter un témoignage, statuer en droit, résumer la cause, ou encore tout interrompre en disant au jury : « Vous devez acquitter, l’accusation n’est pas sérieuse. » Le jury ne se sent pas seul, perdu au milieu d’un océan de contradictions et de doutes : il se confie à un guide sûr.

Qu’on ne se hâte pas de conclure, après cette rapide esquisse, que nous entendons proposer une imitation totale ou partielle de la procédure anglaise. L’Angleterre, si utile à comprendre, est bien dangereuse à imiter, grâce au caractère national si tranché qu’elle imprime à toutes ses institutions. Nous n’avons voulu donner ici qu’une impression d’ensemble de cet appareil judiciaire sur lequel, il y a cent ans, nos législateurs avaient cru modeler le nôtre.

Avouons d’ailleurs que l’audience londonienne aura toujours un terrible défaut à des yeux parisiens : elle est ennuyeuse ! A Old Bailey, comme aux tribunaux de police, à Bow Street par exemple, c’est un ennui morne que distille cette procédure si calme et si sage ! A propos d’une comparution à Bow Street, nous lisions récemment la narration d’un journaliste parisien que cette audience sans entrain avait stupéfié et navré : « Ce compte rendu exact, disait-il, vous paraîtra bien froid, mais il reflète absolument l’impression que m’a produite cette audience sans majesté, sans