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aux hautes fonctions qu’il remplissait. C’est d’abord dans les conversations de couloir que les bruits suspects ont couru. Évidemment, ceux qui les lançaient avaient acquis, à travers les troubles moraux de ces dernières années, une redoutable expérience à manier la calomnie et à lui préparer les voies. Les accusations étaient d’autant plus perfides qu’elles étaient plus confuses : on voulait ébranler les esprits avant de les frapper. Si cette odieuse campagne s’était prolongée pendant quelques jours encore, il est difficile de prévoir quels ravages elle aurait produits. N’avons-nous pas vu, plus d’une fois déjà, les plus honnêtes gens traînés dans la boue par la poigne vigoureuse d’accusateurs de profession ? Et lorsque ce n’est pas eux qu’on accusait directement, c’était leur famille, leurs alliés, leurs amis. Jamais l’esprit de parti, si on peut donner ce nom au sentiment qui inspire les plus détestables violences, n’a été poussé plus loin que depuis un an ou deux en France. Cette fois pourtant, il s’est tu, et la conscience publique a pu se prononcer en toute liberté. Presque en même temps un certain nombre de personnes, également désireuses de faire la lumière sur des incidens qu’on avait dénaturés et qu’on exploitait sans pudeur, ont pu réunir les renseignemens nécessaires pour parler avec certitude, et un matin, le plus grand nombre des journaux de Paris ont raconté l’histoire du mariage de M. le Président de la République. Il s’agissait d’un roman de cœur très touchant et très simple. À l’âge de vingt et un ans, M. Félix Faure s’était épris d’une jeune fille qu’il avait rencontrée dans une des plus honorables familles d’Amboise, et il avait demandé sa main. On lui a fait remarquer qu’il était bien jeune encore, qu’il n’avait pas de position, que son avenir était incertain. M. Félix Faure a quitté Amboise, s’est rendu au Havre, y a fondé une maison de commerce et a été bientôt entouré de la confiance universelle. Il est revenu à Amboise au bout de trois années, et a renouvelé sa demande. On lui a raconté alors une histoire de famille très triste, très ancienne, qui s’était passée avant la naissance de la jeune fille qu’il aimait, et dont celle-ci n’était en rien responsable. Elle était orpheline. Elle n’avait jamais connu son père, qui avait fait de mauvaises affaires et avait disparu après trois mois de mariage. Elle avait été élevée dans la famille de sa mère et conformément aux principes les plus sévères. Tout honnête homme aurait fait ce qu’a fait M. Félix Faure : il a maintenu sa demande et il a été heureux de la voir accueillie. Depuis lors, sa vie et celle de Mme Félix Faure se sont passées au grand jour, au Havre et à Paris. Beaucoup connaissaient les détails de ce mariage, et leur estime pour M. Félix Faure en avait été accrue. On a peine à comprendre que, dans quelques consciences obscures, des faits aussi honorables aient pu se convertir en basses accusations. Le mieux, à coup sûr, était de dire bien haut la vérité. On l’a fait, et partout s’est produit un mouvement de sympathie en faveur de M. le Président de la République.