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REVUE DRAMATIQUE

COMEDIE-FRANÇAISE. — Le Fils de l’Arétin, drame en quatre actes en vers, dont un Prologue, par M. le vicomte HENRI DE BORNIER.

Il est des œuvres, produits d’un art subtil, où non seulement les procédés de l’auteur n’apparaissent pas, mais où la pensée même semble vouloir se dérober, et nous échappe à l’instant que nous croyons la saisir. Elles nous laissent charmés et troublés par leur inquiétante séduction. Le Fils de l’Arétin n’est pas une de ces œuvres-là. Ou plutôt c’en est le contraire. M. de Bornier dit ce qu’il veut dire avec une franchise ennemie de l’artifice et une simplicité qui n’est pas toujours involontaire. L’idée transparaît à travers la forme. On assiste au travail de l’écrivain. On voit comment il s’y est pris pour faire passer dans la forme dramatique des idées qui se sont présentées à lui, comme elles font pour nous-mêmes, à l’état abstrait. La broderie des vers ne nous fait pas une illusion si complète que nous ne puissions retrouver la trame primitive. Nous entrons dans le secret des dieux. Cela aussi a bien son charme.

Boileau dénonçait jadis avec indignation


ces dangereux auteurs
Qui de l’honneur en vers, infâmes déserteurs,
Trahissant la vertu sur un papier coupable
Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice aimable.


Le drame de M. de Bornier nous remet ces vers en mémoire. Car on a beaucoup parlé de Corneille à propos du Fils de l’Arétin ; il nous ferait plutôt rêver de ce qu’aurait pu être un drame de Boileau, si, par impossible, Boileau eût été pris de l’envie de faire du théâtre. La littérature peut être un instrument de corruption. Certains écrivains sont