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Verlaine ! ô Swinburne ! qui donc jamais eût pensé que je connaîtrais un jour les passions exécrables que vous avez chantées !

Cet état moral ne m’est pas particulier. J’observe que tout le monde en est atteint : on dirait que chacun se hâte de jouir, avant le demain si noir qui nous attend, étrange folie, triste détraquement de uos pauvres carcasses humaines ! Tous, les jeunes, les vieux, les austères, les vénérables mères de famille subissent les désordres morbides de cette contagion, je les ai vus, je les vois tous les jours, eu ces milieux baroques, souvent abjects et crasseux, où grouillent toutes les vermines orientales, ou, parmi les musiques effrénées, se tordent les mimiques des sexualités en délire. La luxure les effleure de son vol brûlant, met ses désirs dans leurs regards, imprime à leurs corps les mouvemens lascifs. Oh ! je voudrais soulever ces boîtes crâniennes et connaître le rêve abominable qui y naît, s’y développe, y flamboie ! Enfin, ce qui ne m’est jamais arrivé, j’ai des aventures, moi, moi !… Voyons, croyez-vous que ce soit là un état normal, qu’il n’y ait pas dans cet oubli de la pudeur, dans ce déchaînement du vice, et cette mise à nu des curiosités secrètes comme un besoin de s’étourdir, de chasser loin de soi les préoccupations de l’avenir ? Il n’est pas possible qu’à l’heure actuelle, et dans ce décor, apothéose de uos décadences, il existe un être qui ne comprenne pas les dangers qui nous guettent… Et le gouvernement qui non seulement tolère. mais protège, couvre de son estampille officielle cette folie convulsive de tout un peuple, ne commet-il pas un véritable crime ? » Hélas ! bon philosophe, il dure, ou, du moins, il essaie de durer. Ne vois-tu pas qu’avec tout ce qu’une exposition comporte d’affaires à faire, d’affaires à donner et d’affaires à vendre, il éteint des haines, assouvit des ambitions ou des appétits, que, par l’appât d’un intérêt ou d’une vanité, — argent ou croix, — il tient une foule soumise à son pouvoir et à sa fortune, une foule qui hurlera dans la rue en fête, mais se taira sur lui !


V

J’ai parlé de l’Exposition de 1900, comme si elle était déjà faite, et qu’il n’y eût plus qu’à y mettre les maçons. Elle ne l’est pas encore, nous avons même quelque espoir qu’elle ne le soit jamais. Nous ne voulons pas nous leurrer à l’avance, mais, dans l’état où en sont les choses, il ne serait pas impossible que la Chambre effaçât ce décret du 13 juillet 1892, par quoi elle n’est nullement engagée, du reste, et dont la précipitation qui en accompagna les circonstances l’entache virtuellement de nullité. Le décret a été une véritable surprise, pour ne pas dire un