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fallacieux qu’on viendra, en d’habiles jongleries, présenter à la tribune de la Chambre, s’obstine-t-on à cette œuvre mauvaise, à cette œuvre anti-sociale, anti-nationale ? Pourquoi, au lieu de chercher le remède à une situation douloureuse et pleine de menaces, s’efforce-t-on de l’aggraver, de la rendre inguérissable peut-être, quand il ne s’agit, en réalité, que de protéger et d’enrichir des catégories humaines peu recommandables, et de sacrifier des intérêts sacrés, au seul bénéfice de quelques camelots vendeurs d’ivresses empoisonnées, racoleurs de plaisirs et batteurs d’estrade ?

Pourquoi ? nous allons le dire.


IV

Les expositions universelles sont des époques merveilleuses. Elles ont cela de commun avec les guerres civiles qu’elles font se lever de dessous les pavés tout un pullulement de peuple qu’on ne connaissait pas. Elles incitent en marche les convoitises ignorées, mobilisent les appétits qui dormaient dans les ténèbres de la conscience humaine. Il en surgit de partout, des profondeurs populaires et des sommets sociaux, du salon et du bouge, du cabinet de l’homme d’affaires et de la parlote politique. On a même remarqué que, dans les asiles, elles surexcitaient les fous d’une manière inusitée et violente. Chacun, plus ou moins, subit les atteintes de cette fièvre spéciale, désormais cataloguée dans les ouvrages de médecine, et qu’on pourrait appeler lièvre d’exposition.

Alors les conceptions les plus monstrueuses comme les plus ineptes bouillonnent dans les cerveaux. Il s’agit d’exploiter les passions mauvaises de la foule, et sa sottise. Dans cet ordre d’idées, le champ est vaste, et les résultats sont assurés. C’est à qui inventera les spectacles les plus licencieux, des déshabillages qu’on n’avait pas encore tentés ; à qui mettra en œuvre toute la série des excitations interdites, et en action les paraphrases de la lubricité ; à qui enfin, arrivera premier, en cette course acharnée, dont le but va du stupéfiant à l’immonde. Rien à craindre. Libre carrière est donnée à tous les délires de l’imagination. La police se tait et le gouvernement encourage. Il sait que c’est une trêve pour lui, une halte dans ce voyage tourmenté qu’est le pouvoir. Un peuple qui chante et boit, et qu’emporte la folie du dévergondage, ne s’occupe pas des actes du gouvernement ; il n’exige pas de comptes, il ne réclame pas la réalisation des promesses mille fois différées. On peut lui prendre le Luxembourg, comme en 1867, les Nouvelles-Hébrides, comme en 1889, on peut lui