Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une fois le classement des lignes prononcé, on pourrait en ajourner indéfiniment la construction, si l’effort à faire dépassait les ressources du pays.

Enfin le projet de loi de classement contenait un tableau de lignes antérieurement concédées à titre de chemins de fer d’intérêt local, à incorporer dans le réseau d’intérêt général. Ce tableau ne reçut pas la sanction législative. Mais de 1878 à 1883, après les grands rachats qui avaient constitué le réseau d’Etat, on en opéra, sur les mêmes bases, une série d’autres, portant sur 1 800 kilomètres environ de chemins de fer antérieurement concédés à des compagnies secondaires, soit à titre d’intérêt local, soit à titre d’intérêt général, les uns en exploitation, les autres en construction.

Ainsi, tant par les classemens de 1875 et de 1879 que par les rachats successifs, l’État, en 1883, se trouvait avoir pris la charge de plus de 16 000 kilomètres de lignes promises aux populations, dispersées sur tout le territoire, n’ayant aucun lien entre elles et enclavées dans les réseaux des grandes compagnies. Parmi celles qui étaient déjà ouvertes à l’exploitation, une partie était remise à l’administration des chemins de fer de l’Etat, dont le réseau n’en restait pas moins décousu et incohérent ; les autres étaient exploitées en régie, ou affermées aux grandes compagnies par des traités provisoires assez onéreux pour le Trésor.


Le gouvernement sentait bien l’impossibilité de prolonger une pareille situation. Il sentait aussi que le moment était favorable, pour traiter avec les grandes compagnies ; car, d’une part, le développement du réseau d’Etat ne laissait pas de les inquiéter, et d’autre part, leur prospérité permettait de leur demander de sérieux sacrifices. Mais tous les projets de conventions que les ministres des Travaux publics élaboraient, rencontraient le plus mauvais accueil dans les commissions parlementaires, qui, de leur côté, dressaient des projets de rachat, en commençant par le réseau d’Orléans. Ces projets se heurtaient aux éternelles polémiques sur les avantages respectifs de l’exploitation par l’Etat et de l’exploitation par les compagnies, dans lesquelles les argumens théoriques, comme les exemples pratiques, paraissent jusqu’ici laisser la balance égale entre les deux partis. Ils rencontraient, de plus, une objection grave, tirée des sacrifices immédiats qu’il aurait fallu imposer à l’Etat pour déposséder les compagnies, ainsi que nous l’avons expliqué ci-dessus. A cela, MM. Wilson et Baïhaut, — rapporteurs successifs des propositions qui devaient soustraire nos grandes voies nationales au joug des gens d’affaires