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localités devaient payer les deux tiers du prix des terrains, et l’État devait supporter la majeure partie des dépenses d’établissement ; les concessionnaires ne devaient fournir que la voie et le matériel d’exploitation. Réduisant ainsi considérablement le capital à rémunérer et à amortir par les compagnies, on aurait pu instituer des concessions assez courtes, qui auraient vécu de leurs propres ressources. Malheureusement ce système fut, en pratique, très vite abandonné.

L’essor qui avait suivi la promulgation de la loi de 1842 était déjà arrêté par la crise financière de 1847, quand la révolution de 1848 vint aggraver et prolonger cette crise. En 1852, notre réseau ne comprenait que 4 000 kilomètres concédés, auxquels s’ajoutaient environ 1 000 kilomètres exploités ou à construire par l’Etat. La longueur totale exploitée était de 3 500 kilomètres, et la dépense faite n’atteignait pas un milliard et demi, dont les deux cinquièmes avaient été fournis par le Trésor.

L’Empire provoqua les fusions qui ont constitué nos six grandes compagnies actuelles. En même temps, il étendit largement leurs concessions ; celles-ci, à la fin de 1858, atteignaient 16 000 kilomètres, dont plus de moitié en exploitation. Les dépenses faites dépassaient quatre milliards, et les dépenses restant à faire étaient évaluées à deux milliards et demi.

Les grandes compagnies, en possession des principales artères du réseau, donnaient des dividendes fort élevés, et leurs titres jouissaient de toute la faveur du public, quand survint la crise financière de 1857. Elle ne tarda pas à réagir sur le marché des chemins de fer. L’opinion publique s’émut de l’idée que les lignes restant à construire, moins productives que les anciennes, constitueraient une charge supérieure, peut-être, aux bénéfices antérieurement acquis, et de nature à atteindre même la solvabilité des compagnies. Il devint bientôt évident que celles-ci ne pourraient pas réaliser les émissions d’obligations nécessaires pour tenir l’engagement qu’elles avaient pris, d’achever, dans un délai de quelques années, les lignes dont elles étaient concessionnaires.

C’est la décision adoptée, dans cette situation, par les pouvoirs publics, qui a fixé, on peut presque dire définitivement, le régime de nos chemins de fer. À ce moment, le gouvernement de l’Empire pouvait opter entre deux solutions ; le choix qu’il a fait a commandé la plupart des mesures prises depuis.

Il eût été assurément légitime, en 1859, de laisser les compagnies subir le sort qui résulterait, pour chacune d’elles, de la valeur de ses lignes et de la solidité de son crédit. Les unes