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seul consumât son patrimoine à défendre la cause commune, et lui promit de l’indemniser de ses sacrifices dans son testament.

Après le manifeste vint le coup de main. Ayant la foi, « cette foi qui fait tout supporter avec résignation, fouler aux pieds les joies domestiques, qui est capable de renverser des montagnes. cette foi du martyr que rien n’abat, » il se prépara à de nouveaux hasards. Le retour imminent des cendres du « héros populaire. qui fut empereur et roi, souverain légitime de notre pays[1] » fortifia son ardeur.

N’était-ce pas le moment propice ?

Il descendit sur la plage de Boulogne avec quelques fidèles, parmi lesquels Persigny, Montholon, Conneau (6 août 1840). Ses proclamations au peuple et à l’armée étaient plus amères contre Louis-Philippe et son gouvernement que celles de Strasbourg. Un décret prononçait la déchéance de la dynastie des Bourbons d’Orléans, convoquait un congrès national, nommait Thiers président du gouvernement provisoire. La tentative se déroule à peu près comme à Strasbourg. Accueilli sur la plage de Boulogne par le sous-lieutenant Aladenise et trois sous-officiers, le prince s’avance vers la caserne. Les soldats répondent d’abord par des cris de : « Vive l’empereur ! » mais les officiers accourent et les reprennent. Dans la bagarre, le prince blesse un homme à la mâchoire d’un coup de pistolet. Les conjurés repoussés s’avancent alors vers la ville : les gardes nationaux, appelés par le tocsin et le tambour, les mettent en déroute. Ils se jettent dans un canot. La garde nationale les crible de balles, le canot chavire ; l’un est noyé, un autre tué, l’autre blessé ; le prince, repêché, est pris, enveloppé dans la capote d’un douanier. Le débarquement avait eu lieu à six heures, à huit tout était terminé.

Cette fois le gouvernement crut devoir sévir et déféra le prince et ses complices à la cour des Pairs. Le procureur général Franck Carré fut prodigue de ses dédains pour l’accusé ; Berryer, défenseur du prince, le fut de ses mépris pour les juges. Un frémissement de surprise, de colère, d’approbation remua l’auditoire lorsqu’il s’écria : « Dites, la main sur la conscience, devant Dieu, devant nous qui vous connaissons, dites : « S’il eût réussi, s’il eût triomphé, ce droit, je l’aurais nié, j’aurais refusé toute participation à ce pouvoir. Je l’aurais méconnu, je l’aurais repoussé. » Moi, j’accepte cet arbitrage suprême, et quiconque devant Dieu, devant le pays, me dira : « S’il avait réussi, j’aurais nié ce droit ! » celui-là, je l’accepte pour juge. »

  1. Discours de Rémusat.