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un papier destiné à Morny. Ainsi il apprit l’existence de ce fils de sa mère. Morny, ses études terminées, était entré dans l’armée. Brillant officier, en faveur auprès de la famille d’Orléans, il servait en Afrique, en qualité d’aide de camp du général Trezel. Le prince Louis ne se rapprocha pas de lui et continua à l’ignorer.


VII

Arenenberg était bien vide, bien froid, depuis que n’existait plus la fée du lieu, l’animant de sa bonté active et gracieuse. Le prince confiait sa peine à son père, duquel aucun mauvais procédé ne le détacha jamais ; il lui racontait les derniers momens de sa mère, et lui transmettait une de ses dernières paroles : « Qu’il sache que mon plus grand regret a été de ne pouvoir le rendre heureux. » Louis est touché. Il l’appelle « mon cher fils ». Il s’attendrit au souvenir de la morte. Mais, en cet esprit déséquilibré, ce retour insolite de tendresse s’accompagne d’un accès aigu d’aberraration. À ce jeune homme de trente ans, persuadé « qu’un rayon du soleil mourant de Sainte-Hélène éclaire son âme », il propose « de renoncer aux affaires trompeuses de ce monde, de se jeter dans les bras de Dieu et se faire ermite (11 novembre 1837). »

Le prince répond à ces éjaculations pieuses hors de propos en se jetant de nouveau dans la mêlée. Il publie sous le nom du sous-lieutenant Laity, un de ses complices de Strasbourg, un compte rendu du procès dans lequel son droit était affirmé. Laity fut condamné par la Chambre des pairs à cinq ans de détention. Molé fit remettre à la Confédération helvétique, par son ministre à Berne, Montebello, une note appuyée par l’Autriche et la Prusse et demandant impérativement l’expulsion du prince. Mais dans son rapport au conseil représentatif, le professeur Larive établit que Louis Bonaparte était légalement citoyen suisse depuis 1832, qu’on ne pouvait considérer comme un prétendant le fils obscur du troisième des frères de l’Empereur, le sénatus-consulte qui le faisait entrer dans l’ordre de succession étant d’ailleurs aboli par l’acte de déchéance. Molé répondit à ces conclusions adoptées à l’unanimité par le grand conseil en faisant avancer des troupes vers la frontière. La Suisse mit sur pied ses contingens, mais le prince, ne voulant pas créer des embarras au peuple qui lui donnait tant de marques d’estime et d’affection, annonça qu’il s’éloignait volontairement (octobre 1838).

Le père s’exaspérait de le voir si peu ermite : plus de tutoiement, plus de cher fils, mais mon fils. D’un ton rogue, il lui conseille, puisqu’il veut absolument agir, de solliciter l’autorisation