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à New-York, il apprit que le jury de Strasbourg avait prononcé un acquittement général.

Pendant qu’il voguait vers l’Amérique, une tempête de colère familiale se déchaînait contre le malheureux vaincu. Joseph ne répondit pas à ses lettres ; Louis grinça de plus belle ; Jérôme, malgré l’opposition de son fils, rompit, tout en protestant de sa tendresse, le mariage projeté : « La réussite même ne l’eût pas justifié à mes yeux. J’aimerais mieux, dût-il être empereur, donner ma fille à un paysan qu’à un homme assez ambitieux et assez égoïste pour aller jouer la destinée d’une pauvre enfant qu’on allait lui confier. »

Seule, la mère ne condamne ni ne blâme : elle n’a pas été consultée, pas même avertie, mais tout ce qui vient de son fils est bien. Il vit, elle pourra le revoir, cela lui suffit ; elle a un tel dégoût des hommes et des choses de ce monde qu’elle se réjouit que l’entreprise ait tourné mal. Elle ne ressent de colère que contre ceux qui se séparent de son fils : « Plus je pense à la conduite de ta famille et plus elle me confond : j’ai entendu souvent l’Empereur s’écrier : « Je voudrais être bâtard ! » Elle se hâte de relater toutes les sympathies qu’on lui témoigne : « Déjà, dans le pays, on espère te revoir. Ils ont un verre que les tireurs t’offraient et qu’ils te gardent. Je crois qu’il n’y a plus un paysan qui n’ait ton portrait. » Elle sait que son principal souci est le sort de ses compagnons, elle s’applique à le rassurer. « M. Parquin, veut vendre sa terre ici pour arranger ses affaires ; je crois qu’il faudra lui faire une pension, car il tirera peu de chose de sa vente. Charles te dira que tous les prisonniers sont bien et remplis d’espérance. J’ai encore envoyé 100 louis dernièrement pour aider à leur défense. Si on les acquitte, le colonel viendra chez moi, je le garderai jusqu’à ce que tu lui trouves une place en Amérique, et je donnerai une pension de 1 000 francs pour chacun de ses enfans. »

Le prince répond par une plainte mélancolique à la rupture notifiée par son oncle Jérôme : « Lorsque je revenais il y a quelques mois de reconduire Mathilde, j’ai trouvé un arbre rompu par l’orage et je me suis dit : Notre mariage sera rompu par le sort… Ce que je supposais vaguement s’est réalisé ; ai-je donc épuisé, en 1836, toute la part de bonheur qui m’était échue ! »

Il le prend de plus haut avec Joseph : « Que me reprochez-vous ? lui écrit-il en substance. D’avoir rendu difficile votre séjour en Italie ou en Suisse ? Quand on craint d’être compromis on abandonne toute idée politique. D’avoir tenté de prendre votre place et celle de mon père ? Nulle part je ne me suis posé en prétendant. J’ai voulu mettre la nation en état de parler, reconnaissant que