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que la reine Hortense ne se soit pas résignée à vivre avec un tel maniaque.

Parfois le jeune homme implore en quelque sorte miséricorde : « Je reçois si souvent des paroles dures de votre part que je devrais y être accoutumé. Et cependant chaque reproche me fait une blessure aussi vive que si ce fût le premier. » Le père cesse d’écrire, alors le fils l’implore encore, mais autrement : il préfère des rudesses à ce silence : « Je vous en supplie, mon cher papa, ne vous fâchez jamais contre moi, cela me cause trop de chagrin… Pardonnez-moi si je diffère quelquefois de vos opinions, et faites-moi vos reproches, mais sans me punir en ne m’écrivant pas[1]. »

Les fêtes du château, c’était l’arrivée des visiteurs de marque ou d’intimité. Chateaubriand, Alexandre Dumas vinrent pour quelques heures ; Delphine Gay et Mme Récamier polir quelques jours ; Vieillard, devenu l’ami du frère de son ancien élève, pour quelques semaines. Mme de Dino y parut aussi pour renseigner Talleyrand. Le prince, de plus en plus taciturne ou réservé, méditatif, replié sur lui-même, inspirait moins l’enthousiasme que l’estime et le respect : « Il n’est pas plus dangereux pour la monarchie de Juillet, écrivait la duchesse de Dino, qu’un élève de l’École polytechnique, bon mathématicien, bon écuyer, mais timide et silencieux comme une demoiselle bien élevée. » - « C’est un jeune homme studieux, disait Chateaubriand, instruit, plein d’honneur et naturellement grave. » La mère, qui pénétrait au delà de l’enveloppe, se montrait plus enthousiaste : « Son courage et sa force d’âme égalent sa pénible et triste destinée. Quelle nature généreuse ! Quel bon et digne jeune homme ! Comme je l’admirerais si je n’étais sa mère[2]) ! »

Le séjour hivernal à Rome était le véritable adoucissement à la vie rude d’Arenenberg. Le bon Grégoire XVI, pardonnant la sommation irrespectueuse de 1830, autorisait le prince à y accompagner sa mère. Rome était alors la ville de la paix, de l’apaisement, des suavités, de l’infini, la cité universelle dans laquelle le, citoyen de n’importe quel pays se retrouvait dans sa patrie. Attirées par la magie de l’antiquité et de la Renaissance, par l’enchantement d’une seconde pax romana, des colonies d’artistes de divers pays s’étaient fixées dans cette oasis du Beau et du Saint où, tout le monde parlant à voix basse, on entendait mieux les voix lointaines du Temps. D’illustres voyageurs y accouraient pour se reposer ou admirer, de célèbres malheureux pour souffrir en paix ou oublier. Hortense attirait dans son salon

  1. Lettres de Louis, de 1833 à 1835.
  2. A Belmontet, 10 décembre 1834.