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de poésie classique, jouissant de la haute estime du père, il exerçait de l’ascendant sur le fils.

On eut peine à empêcher le jeune prince d’aller se joindre au soulèvement grec. Lui objectait-on que son nom nuirait à cette cause ? « Eh bien, répondait-il, je la servirai sous un nom d’emprunt. » On ne le retint qu’en lui représentant la douleur dans laquelle son départ plongerait son père malade, dont il était la seule consolation. Son mariage avec la délicieuse Charlotte, fille de Joseph, l’ayant établi dans une existence paisible, il s’occupa de science et d’industrie.

L’extérieur du prince Louis n’était pas aussi triomphant que celui de son frère aîné. L’âge emportait chaque jour quelque chose de sa beauté enfantine : agile et musculeux, de petite taille, le buste disproportionné par sa longueur avec l’ensemble du corps, il ne paraissait grand qu’à cheval. Sous le front élevé, large, droit, puissant, le visage s’allongeait à la Beauharnais, et, quoique l’agrément aimable de sa mère s’y trouvât encore, le sérieux mélancolique de son père s’accentuait. Son abord grave, presque sévère, s’adoucissait vite par l’accent pénétrant de sa voix harmonieuse, par l’expression bienveillante de son œil gris, par le charme d’insinuation et de politesse cordiales de ses nobles manières. Plus interrogateur que parleur, s’inquiétant de s’informer, non de briller, il eût paru parfois lent d’intelligence si l’on n’eût été détrompé par ses reparties heureuses, pleines de raison et de finesse, indices d’un esprit à la fois vif et réfléchi. On avait quelque peine à deviner, sous la douceur calme de ses propos, l’intrépidité obstinée de son caractère. Il s’était donné un air militaire en laissant pousser ses moustaches et une légère impériale. Sans effort, il se faisait aimer parce qu’il était simple, compatissant. Il rencontre un jour des prisonniers français revenus de Russie qui, déguenillés, se traînaient sur la route ; il remonte dans sa chambre, se déshabille et, par la fenêtre, leur jette ses habits et ses souliers. Une autre fois un mendiant l’implore ; n’ayant pas d’argent il lui donne ses vêtemens et rentre en chemise et pieds nus. Il envoyait au comité philhellénique tout ce que sa mère lui donnait pour ses menus plaisirs.

Une affection d’autant plus tendre unissait les deux frères que leurs idées se ressemblaient : tous les deux républicains et en même temps fanatiques de leur grand oncle ; tous les deux patriotes fervens et dévoués aux peuples opprimés ; tous les deux impatiens d’une occasion de se montrer dignes du nom dont ils étaient fiers sans en être accablés.