dont Gounod aime à soutenir ses nobles cantilènes. Judex. Oh ! le doux jugement, où nous serons tous à la droite du juge ! Oh ! la tendre, ineffablement tendre mélodie, qui ne s’élève pas pour maudire, mais qui s’ouvre comme pour un embrassement divin. Dira-t-on qu’elle est passionnée ? Oui, si passion signifie amour ; non, si cela signifie souffrance, car tout aime en cette musique et rien ne souffre. Le Christ qu’elle annonce n’est pas celui de Michel-Ange mais celui de Raphaël, celui de la Dispute (et pour nommer la fresque suave, je voudrais un nom plus doux) ; celui qui trône sur les nuées, mais qui ne voit autour au-dessous de lui que des saints, des élus, des heureux.
Heureux ! Tel est le dernier mot de cette musique : Beati qui lavant stolas suas ! — Felix culpa ! Voilà les pages maîtresses, les pages authentiques et révélatrices du maître. Beati qui lavant stolas suas in sanguine Agni ! Dans ce texte sacré, le musicien a vu l’idée doctrinale moins que le tableau, le paysage plus que le sacrement. Quand il jouait, en la commentant, cette page, je me souviens qu’il avait coutume de traduire : « Elles lavent, elles lavent en chantant. » Il féminisait malgré lui les personnage et pour nous comme pour lui-même, ces rythmes gracieux, ces clairs triangles tintant comme des clochettes, tout évoquait je sais quelle pastorale féminine et primitive, et dans une prairie mystique où van Eyck eût semé ses fleurs, des lavandières divines plongeant au sang de l’Agneau des tuniques de lin.
Félix culpa ! « Heureuse faute, qui nous valut un tel Rédempteur ! » Plus sensible à la félicité qu’à la faute, Gounod oublie ici le péché pour ne se rappeler, et avec quel amour ! que le salut et le Sauveur. En dehors même de toute signification psychologique, analysée en soi, une telle mélodie mérite qu’on s’y arrête. Elle est, dans la pleine acception du mot, une mélodie, une idée musicale. Or voici ce que Gounod entendait par là.
« Une idée, c’est une forme musicale précise, qui me saisit à l’instant, sans attendre, et de plus une forme féconde, qui contient en elle tout le morceau qu’elle annonce, morceau qui se déroule clair, puissant, logique, un, sans que je sois obligé de me traîner à tâtons pour en percevoir la robuste et majestueuse identité. L’ensemble de la conception découle de son principe, non par voie d’artifices, de complexités arbitraires facultatives, mais par voie de génération… Le propre d’une mélodie, c’est d’être non pas une forme quelconque, plus ou moins vague, mais une silhouette déterminée, un contour distinct, frappant instantanément, dès sa première apparition. Ce n’est point une énigme, un problème ; c’est une figure nette ; c’est-à-dire un être. Une succession telle quelle de notes ne constitue pas une mélodie ; il faut que cette succession aboutisse à une réalité complète, vivante par elle-même et consistante par elle seule. Prenons, je suppose, les