Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/800

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’horizon lui semble le chemin du ciel… Il y a dans le mélange de cette situation dramatique et de cet aspect une grandeur légendaire qui émeut profondément. C’est un beau dernier tableau de dernier acte, et quand on voit ces deux choses à la fois, je t’assure qu’on n’a plus envie de faire revivre Mireille que parmi les anges du ciel. »


Hélas ! on la fit revivre sur terre. On voulut épargner à la sensibilité du public un dénouement funèbre, et Mireille, en dépit de Mistral et de Gounod, Mireille, au lieu de mourir du rayon de soleil qui l’a blessée, Mireille se guérit pour épouser Vincent.

L’œuvre a souffert encore d’autres dommages. On l’a raccourcie du très bel épisode fantastique : le Rhône, qui figure dans la partition gravée et qu’on devrait rétablir au théâtre. Mais Gounod parle aussi dans sa correspondance de certains fragmens que dans la partition autographe même nous n’avons pas retrouvés entre autres certaine fin du duo du premier acte : Oh ! c’Vincent !


« Je n’avais pas voulu m’occuper de cette fin. Je reculais toujours devant cette situation adorable, culminante, une de ces fleurs de situation comme celle de Marguerite à sa fenêtre, de Juliette à son balcon. Je pensais qu’il y avait dans cette pâmoison de Mireille, dans son aveu, un de ces accens, une de ces émotions à part, qui caractérisent les momens décisifs de la vie du cœur et de l’amour. Je répugnais à me plier, en cette conjoncture si délicate, aux formes, à la coupe usitée des morceaux consacrés. Je viens de trouver mon affaire, et je crois que cette fin d’acte pourra bien être dans son genre le pendant de la scène de Marguerite à la fenêtre. Mireille et Vincent n’ont plus la force de parler ; le bonheur les étouffe ; ils font entendre alternativement des bouts de phrase entrecoupés, détaillans du côté de Mireille, haletans d’ivresse croissante du côté de Vincent, pendant que les violons à l’orchestre font au contraire déborder un chant qui se charge d’expliquer pourquoi les deux amans ne peuvent plus chanter. »


Cette page et plus d’une autre, dont il est parlé dans les lettres de Gounod, ne fut sans doute pas écrite, ou conservée, et Mireille ainsi n’est pas tout ce qu’elle eût pu être. L’œuvre est inégale, mêlée de soleil et d’ombre, un peu comme les jours d’avril où elle est née. C’est moins un drame ou un poème en musique, que la musique de quelques tableaux : d’une idylle au premier acte ; au troisième, d’un paysage. L’épisode de la Crau, le chant du petit pâtre et la halte de Mireille dans le désert torride auprès de l’enfant endormi, est-ce bien la musique de ce pays, de la Provence elle-même ? Je ne sais ; mais, à n’en pas douter, c’est la musique de l’espace, de la lumière et de la chaleur ; c’est « Midi roi des étés ». L’opéra de Mireille pourra passer en tant qu’opéra, ces pages-là demeureront. Avec la chanson des cigales celle d’Andreloun sortira toujours du sol pierreux, de l’herbe rousse que