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à l’âme le Dieu de l’Écriture : « Je te conduirai dans la solitude, et là je parlerai à ton cœur. » Rome lui parla donc et il l’entendit. Elle lui inspira d’abord le Soir et le Vallon. Il trouva l’admirable mélodie qui devint la phrase de Faust : O nuit d’amour ! en se promenant un soir auprès du Colisée. Peut-être fut-ce le soir, le beau soir de mai dont parle dans une de ses lettres Fanny Mendelssohn. La jeune femme, son mari, et Félix son frère, avaient été chercher leurs jeunes amis, les pensionnaires de la villa Médicis. On alla voir le Colisée au clair de lune, et Gounod, monté dans un acacia fleuri, chanta longtemps aux étoiles en faisant, pleuvoir sur ses compagnons des chants avec des fleurs.

Des deux notes, antique et chrétienne, que donne la grande voix de Rome, celle-ci d’abord fut la plus forte à l’oreille de Gounod. Revenu en France, maître de chapelle à l’église des Missions étrangères, gagné peut-être par l’exemple d’un ami retrouvé, d’un ami de son enfance et qui devait être parmi les plus chers et les plus fidèles amis de toute sa vie, Gounod résolut d’entrer dans les ordres[1].


Vers la troisième année de mes fonctions de maître de chapelle, — écrit-il dans les Mémoires d’un artiste, — je me sentis une velléité d’adopter la vie ecclésiastique. À mes occupations musicales j’avais ajouté quelques études de philosophie et de théologie, et je suivis même pendant tout un hiver, sous l’habit ecclésiastique, les cours du séminaire de Saint-Sulpice. Mais je m’étais étrangement mépris sur ma propre nature et sur ma vraie vocation. Je sentis au bout de quelque temps qu’il me serait impossible de vivre sans mon art, et quittant l’habit pour lequel je n’étais pas fait, je rentrai dans le monde.


À peu près à la même époque, un autre descendait, lui aussi, pour ne plus jamais les remonter en soutane, les degrés du séminaire. Mais, plus heureux que celui-là, Gounod les descendit sans combat et sans déchirement. Il n’avait rejeté qu’un manteau trop lourd à ses épaules ; il emportait toute son âme et toute sa foi.

Le talent du jeune musicien ne tarda pas à trouver d’illustres patronages. En 1819 Gounod fut introduit chez Mme Viardot, que dix ans auparavant il avait rencontrée, une seule fois, à Rome. La grande artiste venait de créer le Prophète. Elle souhaita que Gounod écrivit un opéra pour elle, et cet opéra fut Sapho (1851).

Tel est l’immortel prestige de l’art, ou de l’âme de la Grèce, que, pour l’avoir seulement comprise, on sera toujours grand. On sera Gluck, André Chénier ; on sera le Goethe d’Iphigénie, le peintre

  1. Cet ami s’appelait alors l’abbé et depuis s’est appelé Mgr Gay. Il était excellent musicien ; « plus musicien que moi, » disait Gounod ; et l’éminent prélat disait à son tour : « Je sais moins théologien que lui. »