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mathématique que politique ; et organique, elle ne l’est point du tout. Le suffrage à plusieurs degrés, le vote plural n’étaient que de l’arithmétique élémentaire : voici, avec la représentation proportionnelle, de l’arithmétique transcendante. On ne demandait aux autres qu’une martingale sûre : de celle-ci on attend le vrai absolu, démontré dans toute la rigueur des règles. — Et, sans doute, ce ne sont plus des joueurs penchés sur un échiquier ; mais ce sont des savans penchés sur des équations et qui, peut-être, oublient trois choses : la première, c’est qu’on n’enferme pas la vie en des parenthèses algébriques ; la deuxième : que l’État est fait pour les individus, certainement, mais certainement aussi pour lui-même, puisqu’ils passent et qu’il demeure, puisqu’ils ne sont que particuliers et actuels, tandis qu’il est commun et perpétuel ; la troisième, enfin : que la principale et nécessaire qualité d’un régime, fût-il ce qu’il y a de plus représentatif et surtout s’il l’est, ce n’est pas d’être mathématiquement exact, mais bien d’être politiquement maniable et, tout en permettant à chaque citoyen de se faire entendre, de permettre au gouvernement de gouverner.


I. — LA REPRÉSENTATION PROPORTIONNELLE DANS SON FONDEMENT

La représentation proportionnelle, — on doit lui rendre, tout d’abord, cet hommage, — a pour objet la vérité et la justice. Elle est issue, par réaction, de l’injustice et de la fausseté du système de la majorité pure et simple. Eh quoi ! la moitié des voix, plus une, donne tout ; et la moitié moins une n’est rien ! C’est-à-dire, au point de vue parlementaire, que la moitié des électeurs, plus un, est représentée, et que la moitié, moins un, ne l’est pas. Et encore, s’il n’y allait que d’une « représentation » de forme en quelque sorte, honorifique et comme décorative ! Mais il y va de la législation tout entière, que font les représentans (de la moitié des électeurs, plus un, et à laquelle les représentans de la moitié, moins un, n’ont point de part ou n’ont point la part qu’ils y devraient avoir. Or, comme, dans l’Etat moderne, la loi étant maîtresse, qui fait la loi est le maître, il en résulte que la moitié des électeurs plus un commande par ses représentans ; que l’autre moitié n’a qu’à obéir ; et que, faite sans la minorité, la loi est bientôt faite contre elle : excessive, la puissance légale de la majorité est vite devenue oppressive.

Ainsi, la moitié des Français, plus un, vit seule de la vie civique ; le reste est comme s’il n’était pas, est, en fait, frappé de mort civique : la moitié, plus un, est libre et, si l’on veut. « souveraine » ; l’autre moitié est serve, attachée à l’urne, comme jadis à la glèbe. La moitié du pays est en mainmorte, personnes et