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donné à ses auditeurs une surprise véritable en leur lisant un message qu’il avait, a-t-il dit, reçu d’un auguste correspondant, le sultan Abdul-Hamid. Les termes mêmes dans lesquels ce document est conçu ont fait depuis naître des doutes sur le fait de savoir s’il constituait bien une communication directe de S. M. Ottomane à lord Salisbury ; mais il a plu à ce dernier, pour plus de solennité, de lui attribuer ce caractère. Tout porte à croire qu’il s’agit là d’une note émanant en effet du sultan, et que celui-ci a transmise à son ambassadeur, en lui demandant de la communiquer à lord Salisbury. Au surplus, cette question de forme n’a qu’un intérêt secondaire. C’est bien le sultan qui parle dans le message ou dans la note en question, et il le fait avec un accent personnel dont il est impossible de n’être pas frappé et touché. Abdul-Hamid témoigne beaucoup de peine au sujet des doutes que, dans son discours au banquet du lord-maire, lord Salisbury avait exprimés sur sa sincère et ferme volonté d’accomplir des réformes en Arménie. « Cette opinion, assure-t-il, provient de fausses allégations. Lorsque j’exécuterai les réformes, je prendrai devant moi les documens qui les énumèrent, et je tiendrai personnellement la main à ce que chaque article soit exécuté. C’est la décision à laquelle je me suis arrêté ; j’en donne ma parole d’honneur. Je désire que lord Salisbury sache cela, et je prie Sa Seigneurie de croire à ces déclarations et de faire un nouveau discours au nom des sentimens et des dispositions amicales qu’Elle a pour moi et pour mon pays. J’attendrai les résultats avec la plus vive impatience. » Les résultats n’ont pas été ce que le sultan espérait. Le nouveau discours de lord Salisbury, en ce qui concerne le jugement porté sur lui, n’a pas différé du premier d’une manière appréciable, et peut-être même a-t-il eu un accent plus dur. Lord Salisbury a fait de Rustem-Pacha, ambassadeur de Turquie, déjà expirant au moment où il parlait, un éloge qui ressemblait à une oraison funèbre anticipée. S’il s’était borné à dire qu’en toutes circonstances, et depuis de longues années déjà, Rustem-Pacha s’était montré un aussi fidèle ami de l’Angleterre qu’un serviteur intelligent de son maître, il n’aurait pas dépassé la vérité. Il a ajouté qu’il n’y avait plus dans tout l’empire ottoman d’hommes comparables à Rustem-Pacha. « Pourquoi cela ? a-t-il ajouté. Je ne veux pas le rechercher ici. Mais je vous exhorterai à considérer que la solution de ce terrible problème d’Arménie dépend autant de la présence d’hommes capables que de l’existence de programmes à exécuter, et que le simple fait de consigner par écrit de nouvelles mesures sur de nouveaux décrets ne suffit pas, surtout en Orient, pour donner naissance à des gouvernemens qui sachent faire leur devoir et qui aient pour cela l’honnêteté et le courage nécessaires. Les puissances, j’en suis convaincu, feront de leur mieux ; mais ne vous imaginez pas qu’il suffise d’un coup de baguette magique pour faire disparaître les malentendus si profondément enracinés dans un empire. Il faut expier