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ORPHÉE A ROME

... L’attention de Baldwin était moins absorbée par la réa- lité de ce théâtre romain que par les vagues réminiscences du passé :

— Il est curieux, dit-il, qu’un des rares lambeaux qui subsis- tent de mon vieux savoir musical, — car au temps où vous étiez encore une méchante petite fille , chère Donna Maria, et moi, un adolescent épris de chimères, j’aurais pu disserter sur Orphée pendant des heures, et nous aurions eu sans doute dans la nur- sery de terribles luttes gluckistes et piccinnistes, — il est curieux qu’une des rares impressions qui surnagent de mes jours d’en- thousiasme pour le XVIIIe siècle soit celle du chanteur qui créa ce même opéra, de l’homme pour qui Gluck composa son Orphée.

— Ah ! s’écria vivement Donna Maria, contez-nous cela tout de suite. Je croyais, infortuné Baldwin, que vous alliez déclarer avoir oublié qu’une époque eût jamais existé où vous aimiez la musique ancienne.

Baldwin sourit mélancoliquement, de ce nouveau sourire à lui, qui touchait Donna Maria comme un soupir. De fait, il son- geait combien il avait changé, non seulement depuis ces jours lointains de culte pour le XVIIIe siècle, mais depuis des temps beaucoup plus récents, même depuis la dernière fois qu’il avait vu Donna Maria. Cette chère petite personne, dans ses charmantes

(1) Ce morceau est extrait du nouveau recueil de dialogues que la femme distin- guée qui signe Vernon Lee vient de donner pour suite à un autre ouvrage du même genre publié il y a quelques années et qui exprimait ses opinions personnelles sur nos devoirs, nos aspirations, les nuances subtiles des rapports humains, les pro- blèmes enfin de la question sociale et de la vie spirituelle. Il est intéressant de lire Althea après Baldwin et d’y constater les évolutions de cet esprit sincère servi par des dons d’artiste et par un rare talent d’écrivain. [Althea by Vernon Lee ; London, Osgood, Mac Ilvaine and Co.)