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d’un receveur général des taxes européen comme les trois mesures à mettre immédiatement en vigueur.

Un livre bleu publié en cette même année 1878 contient en raccourci l’histoire de tout ce qui s’est tenté en ce genre depuis dix-huit ans. Le 4 décembre 1878, lord Salisbury mettait fin à ce jeu de propos interrompus en déclarant que, tout partisan qu’il fût de l’intégrité de l’empire ottoman, il en croyait le maintien bien compromis si ses défenseurs attitrés continuaient de prendre à tâche d’en saper les fondemens.

Tel était l’état des choses moins de six mois après le traité de Berlin, moins d’un an après que l’avant-garde de Skobelef eut campé sous les murs de Stamboul. Il est aisé de se figurer ce qui advint, avec le temps, dans les provinces. La révolution de palais de 1876 ne fit guère qu’empirer la situation. Jadis, en Turquie, les pouvoirs étaient concentrés entre les mains d’un grand-vizir, seul responsable envers le sultan, seul intermédiaire entre le souverain et ses serviteurs. La Porte, c’est-à-dire un corps presque autonome de hauts fonctionnaires rompus aux affaires, gouvernait et administrait. Aujourd’hui, c’est l’autocratie absolue du sultan. Abdul-Hamid a voulu être son propre grand-vizir. Il a voulu, du fond de son palais de Yildiz-Kiosk, tout diriger, tout ordonner, tout faire, jusqu’aux menus détails administratifs. À la génération des hommes d’Etat qui se nommaient les Aali, les Fuad, les Reschid, les Ruchdi, les Midhat, a succédé une cohue de fonctionnaires routiniers et dociles, de créatures du palais ou du harem. Une instabilité ministérielle, qui dépasse, si j’en crois des calculs exacts, celle de la France, culbute les uns sur les autres, comme des capucins de cartes, ces gouvernemens éphémères. Abdul-Hamid croit avoir en mains tous les fils du pouvoir, et il ne s’aperçoit pas qu’il n’est qu’une marionnette impériale mise en mouvement par des chambellans, des courtisans, voire des eunuques noirs.

Un tel désordre au sommet de l’Etat ne pouvait manquer d’avoir le plus funeste retentissement aux extrémités. L’autorité centrale y est totalement paralysée. A la tête des vilayets sont placés des administrateurs sans cesse changés. Depuis le Vali jusqu’à l’humble caïmakan ou mutessarif, les fonctionnaires ont à peine le temps de faire la connaissance de leurs bureaux. Les malheureux doivent payer argent comptant et fort cher leurs brefs proconsulats. Ils doivent également faire face aux frais fort élevés de déplacement et d’installation. Il faut enfin faire la moisson pendant que le soleil luit, c’est-à-dire s’enrichir le plus rapidement que faire se peut. Aussi mettent-ils en coupe réglée les contribuables, surtout ceux qui privés, de par la loi du Coran,