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Poti. C’est entre les mains de leurs compatriotes que sont tombées, petites ou grandes, presque toutes les entreprises lucratives de cette portion de l’empire russe, depuis le commerce de détail jusqu’à la haute industrie et à la banque. Plus haut encore, la fortune des Bagration, cette branche cadette d’une dynastie arménienne réfugiée en Russie ; celle des Loris-Mélikoff, des Lazareff sont bien faites pour éblouir les pauvres diables qui tremblent devant un bey kourde ou un pacha turc, qui ne sont jamais sûrs d’engranger leur récolte ou de conserver leur bétail.

C’est à peine si l’Arménie ottomane aurait pu être retenue, je ne dis pas dans la libre obéissance du loyalisme, mais dans une morne et morose résignation, si les promesses de réformes du hatti-chérif de Goul Hané ou du hatti-houmayoum de février 1857, vingt ans après, avaient été réalisées sincèrement et sans délai. La Sublime-Porte, les sultans Abdul-Medjid et Abdul-Aziz laissèrent passer le moment propice. Aussi quand la guerre de 1877 éclata, la Russie, fort au courant de ce qui se passait de l’autre côté de sa frontière asiatique, sut-elle mettre à profit dans sa campagne l’état des esprits en Arménie. Après la guerre, elle n’abandonna point ses cliens d’un jour. Le traité de San Stefano lui assurait par son article 19 la possession d’Ardahan, Kars, Batoum, Bayazid et du territoire adjacent jusqu’au Soghamly ; en même temps que l’article 16 stipulait l’exécution immédiate, par la Porte, dans les provinces arméniennes, de réformes profondes.

L’Angleterre ayant réussi à annuler cette convention, il fallut que l’Europe, réunie en Congrès à Berlin, reprît à son compte, pour une partie tout au moins, l’œuvre de la Russie. Par l’article 61 du traité de Berlin, la Sublime-Porte s’engagea à accomplir sans délai toutes les réformes que réclament les besoins locaux des Arméniens dans les provinces qu’ils habitent et à garantir leur sécurité contre les Kourdes et les Tcherkesses. Elle s’obligea de plus à donner connaissance aux puissances, à des intervalles déterminés, des mesures prises à cette fin et dont celles-ci se réservaient de surveiller la mise à exécution. En outre, le 4 juin 1878, lord Salisbury signait avec la Turquie une convention secrète par laquelle l’Angleterre contractait avec l’empire ottoman une alliance défensive limitée à l’Asie, stipulait l’adoption de réformes dont elle se réservait l’appréciation et de l’exécution desquelles elle faisait dépendre la validité de sa garantie, et se faisait céder, à titre de pourboire, la possession temporaire de Chypre. Dans une dépêche du 8 août 1878 à sir Henry Layard, son ambassadeur à Constantinople, le ministre indiquait nettement la formation d’une gendarmerie internationale, la création de tribunaux d’appel avec assesseurs chrétiens et la nomination