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alléchés par de magnifiques annonces. Ces façons peu loyales choquèrent vivement la nature honnête et un peu rude du jeune homme, qui sortit aussitôt de cette maison : c’était peu après 1820.

À cette même époque, un ancien militaire, épris des opinions libérales, venait d’installer, rue de la Huchette, une librairie où il voulait publier surtout des ouvrages déplaisans au gouvernement et combattant les idées religieuses en faveur sous la Restauration. Le colonel Touquet obtint alors une réputation éphémère en répandant, au meilleur marché possible, des livres d’opposition politique et religieuse, — entre autres les œuvres de Voltaire et de Rousseau, — auxquels l’esprit de parti donna dans l’instant beaucoup de vogue. De cette célébrité passagère, il ne reste aujourd’hui que deux titres inséparables : le Voltaire-Touquet et les Tabatières à la Charte. Ces dernières, qui se vendaient à bas prix, étaient de simples tabatières sur le couvercle desquelles toute la Charte était reproduite en lettres minuscules, avec figures allégoriques, imprimées en lithographie par Godefroy Engelmann c’était encore un procédé d’opposition, afin que les priseurs eussent toujours sous les yeux les droits écrits du citoyen français. Les royalistes répondirent à cette manœuvre en faisant fabriquer d’autres tabatières, avec le testament de Louis XVI et le portrait du roi-martyr ; mais le succès populaire était acquis et assuré aux Tabatières-Touquet.

Renduel entra, en 1821, chez le colonel Touquet, avec les idées duquel ses enthousiasmes de jeune homme s’accordaient sur plus d’un point. Les affaires de la librairie amenaient fréquemment le nouveau commis dans les bureaux de M. Laurens, imprimeur-libraire de la rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice (aujourd’hui rue Bonaparte, de la rue du Vieux-Colombier à la rue de Vaugirard). Là, il eut occasion de voir plusieurs fois l’une des filles de l’imprimeur, la cadette, et la demanda en mariage : cette union allait se faire, et Renduel devait même succéder à son beau-père, lorsqu’un premier malheur, la mort de Mme Laurens, vint entraver l’accomplissement de ces beaux projets.

Le colonel Touquet avait très bien su profiter de son succès au point de vue commercial ; mais sa vogue ne tarda pas à baisser, dès que l’on reconnut que ses éditions, ayant le seul avantage de ne pas coûter cher, étaient fautives et peu soignées. Il en parut de beaucoup meilleures qui rendirent le débit des siennes presque nul ; et, ses affaires allant de mal en pis, il dut enfin se réfugier en Belgique. Comme la librairie de Touquet commençait à décliner, bien qu’elle se fût transportée dans un quartier plus vivant,