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L’organisation judiciaire appelle une bien autre réforme ; une démocratie a besoin d’un pouvoir judiciaire plus fort qu’une monarchie. C’est là une vérité qui étonne autour de nous et qui est courante de l’autre côté de l’Atlantique. Notre constitution ne sera achevée que le jour où elle aura confié la garde de nos lois à une cour suprême, ayant les attributions de la cour fédérale des États-Unis et maîtresse, comme elle, d’arrêter les empiétemens du pouvoir législatif[1]. Admettre qu’un parlement peut tout est une maxime révolutionnaire et tyrannique ; entendue de la sorte, la souveraineté du peuple conduit au pire des despotismes, celui d’un millier de despotes médiocres et irresponsables. Fixer un certain nombre de principes auxquels ne pourrait pas déroger la loi et en remettre la garde à la Cour de cassation réunie à la section du contentieux du Conseil d’État, c’est-à-dire instituer au sommet de l’État un corps accueillant tous les recours, interprète suprême de la justice et du droit, voilà le but que doivent poursuivre tous ceux qui réfléchissent et qui prévoient.

L’organisation administrative peut-elle nous laisser indifférens ? Là aussi il y a des réflexions devenues banales, des vœux auxquels tous adhèrent. On parle de décentralisation : le mot est mauvais, il est équivoque et fait naître des désaccords. La centralisation, c’est le résultat de notre histoire tout entière ; c’est l’œuvre de six siècles ; c’est la force d’impulsion du gouvernement, le ressort de toute organisation, le lien de l’armée et de la patrie. Aucun esprit réfléchi ne veut attaquer ni encore moins détruire les hiérarchies qui mènent de degré en degré au pouvoir central, mais on est alarmé de voir toutes les affaires réglées à Paris. Il est mauvais que tout pouvoir s’exerce au centre ; il est bon que tout recours y aboutisse. La centralisation judiciaire est-elle atteinte dans ses parties vives et essentielles parce que le juge de paix a dans le fond d’un canton ou le tribunal dans l’arrondissement un pouvoir propre ?

Ce qu’on demande unanimement, c’est la « déconcentration », le mot est admis ; il s’agit de diminuer la congestion qui porte le sang avec excès au cerveau.

Une observation attentive des faits, la patience de noter les décisions qui peuvent être remises aux pouvoirs locaux, voilà l’œuvre préalable. A la suite de cette analyse viendront les mesures législatives ou seulement ministérielles qui allégeront les charges et remettront chaque chose à sa place.

Les lois administratives ont deux objets : le premier est d’organiser une bonne administration ; le second est d’initier les

  1. Voir l’étude sur le Pouvoir exécutif aux États-Unis, par le duc de Noailles. Revue des Deux Mondes du 15 juin 1888.