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stimuler plus sûrement les courages. Les radicaux et les socialistes ont la prétention d’être des réformateurs ; ils ne sont que des révolutionnaires. Il est temps de leur montrer que, résolus à les combattre, nous poursuivons, nous aussi, dans des réformes nombreuses et précises, ce qui n’est pas l’apanage d’un parti, ce qui est le but de toute œuvre humaine : la suppression de vieux abus, le rajeunissement de nos codes, en un mot l’introduction dans nos lois d’un peu plus de justice.

Au premier rang, nos codes criminels, intacts l’un depuis 1808, l’autre depuis 1832, appellent une révision. Recule-t-on devant cette tâche ? Il y a des questions pour ainsi dire tranchées : qui veut aujourd’hui conserver l’article 291 du code pénal interdisant toute association de vingt personnes ? Refuser la liberté d’association à une démocratie, c’est refuser l’air à un être vivant. La Révolution française, en voulant réagir contre les intolérables abus des corporations, a proclamé l’individualisme à outrance en méconnaissant le besoin qu’a l’homme de se grouper pour agir, elle a commis un non-sens. Depuis la chute de l’Empire, la France d’année en année s’est efforcée de briser les chaînes forgées en 1791 ; l’association, sous la forme commerciale, a obtenu la première, par une lutte vaillante, son émancipation ; puis est née la mutualité, enfin de nos jours le syndicat. De toutes parts, l’œuvre de la Révolution et de l’Empire est menacée ; mais le texte impérieux, la défense formelle reste debout : les mœurs de plus en plus libérales et la loi prohibitive sont en perpétuel conflit. Le gouvernement est maître absolu de se servir de l’article 291 ou de le laisser dormir. La tolérance et le caprice, voilà le régime actuel des associations en France. Il est temps de réclamer une loi générale, loi de principe, ayant ces deux qualités de toute bonne législation, l’égalité des droits, la garantie contre l’arbitraire.

En face de l’État tout-puissant, l’individu est écrasé. Il n’a d’autre alternative que d’être esclave ou révolté. En se groupant, le citoyen fait l’éducation de sa propre liberté, il apprend à agir, il ne maudit plus son impuissance. L’association libre, c’est le réveil pour le bien commun de forces jusque-là engourdies. C’est la vie et le salut, à la condition formelle que la loi établisse la plus large publicité, frappe sans merci toute société secrète, et protège efficacement l’individu contre les excès qu’est portée à commettre une association tyrannique.

Quelle est d’ailleurs la liberté qui sans freins n’enfante pas la licence ? Une expérience de quatorze années a prouvé aux plus aveugles l’insuffisance de la loi sur la presse. Inspirée par des radicaux répétant à l’envi que les journaux étaient impuissans,