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résistance. C’est là un écueil. Pour faire une œuvre de longue haleine, il est très périlleux de se contenter d’un programme négatif. Qu’en une heure de crise, au moment du danger suprême, on crée un parti de résistance, rien de plus nécessaire. En 1831, en juin 1848, ce parti n’a pas eu d’autre nom. Demain, il se peut que la France y ait recours ; mais nous ne parlons ici ni de guerre civile, ni des extrémités qui s’en rapprochent. Nous nous occupons du jeu normal des partis dans un gouvernement d’opinion, de la formation d’un groupe opposé au socialisme. Rien ne serait plus dangereux pour un parti que de prendre comme mol d’ordre des formules négatives. Il serait trop facile de l’attaquer en soutenant qu’il obéit à un intérêt, qu’il est l’esclave de la routine et du passé, que son rêve est l’immobilité d’une caste, son unique mobile l’égoïsme. Un parti qui serait fondé sur l’égoïsme pourrait avoir un jour de victoire : il serait assuré à bref délai d’une irrémédiable défaite.

L’homme ne s’attache, ne se dévoue qu’à ce qui lui montre l’avenir, lui promet l’espérance et la vie. Il lui faut un idéal. C’est là un besoin de sa nature ; qui le méconnaît est sûr d’échouer.

Poursuivant la conception de ce qui est parfait, il cherche sans cesse le mieux, il voit le mal et veut le réprimer ; il voit les lacunes et s’attache à les combler. Un perpétuel effort de réformes sur tout ce qui l’entoure est le signe de sa noblesse originelle.

Loin de blâmer les réformes, il faut que le parti conservateur en fasse le fond de son programme. Que ceci n’étonne pas ! Chez nos voisins du Nord, à Bruxelles comme à Londres, les grandes lois organiques de réforme ont été dues aux ministères conservateurs. Les radicaux ont, en tous pays, plus d’imagination que d’expérience : ils promettent des merveilles, excitent l’enthousiasme, parlent de vingt réformes à la fois, déposent sur le bureau des Chambres le produit de leur cervelle excitée ; les intrigans en font un jeu électoral ; quelques hommes sincères veulent obtenir un résultat, multiplient les efforts, mais ils doivent étudier, travailler, s’efforcer de convaincre autour d’eux, faire succéder à l’élan la persévérance, or, la suite et la patience ne sont pas des vertus radicales. Aux ardeurs du premier mouvement succède le découragement, puis l’irritation : étudiez l’état d’âme du radical : c’est un découragé aigri ; il a tout rêvé, tout cru possible, il s’était vu, en entrant à la Chambre, en possession d’une baguette magique ; on l’accuse d’avoir trompé ses électeurs, en réalité il avait commencé par se tromper lui-même ; il n’est pas de réforme qu’il n’ait crue prochaine ; puis il a reconnu que le temps et les choses créaient des obstacles qu’il fallait vaincre à