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conclusions intéressantes, notamment celle-ci qui a la clarté de l’évidence : Le jury de la Seine se compose en majorité de négocians, et il est infiniment rare que, pour chaque affaire et parmi les douze jurés, il n’y ait pas au moins 7 commerçans, c’est-à-dire la majorité absolue.

Le fonctionnement pratique de la loi de 1872 conduit donc à ce résultat : que la juridiction criminelle à Paris est en réalité une sorte de juridiction « consulaire ». Dans son organe fondamental, la cour d’assises de la Seine est composée, pour la plus grande part des membres du jury, comme un tribunal de commerce.

Et de quels négocians se compose ce tribunal ? Nous pouvons dire que la grande majorité appartient au petit commerce. Ici, la statistique est forcément moins rigoureuse ; mais on nous permettra d’ajouter aux vérifications que nous avons pu faire sur certaines listes les résultats de notre expérience personnelle. Nous croyons pouvoir affirmer que la grande et la moyenne industrie, le grand et le moyen commerce, sont représentés, fort honorablement d’ailleurs, mais sont représentés à peine sur les listes annuelles du jury parisien. Parmi les membres d’un jury de session qui, en dehors des affaires les plus variées et les plus complexes, avait encore à statuer sur le sort de plusieurs anarchistes et sur deux causes célèbres, j’ai relevé les noms de 21 négocians, et notamment de trois marchands de vin, de plusieurs cordonniers, chapeliers, passementiers, tenant de modestes boutiques. Plus récemment encore, un procès des plus retentissans a eu pour juges neuf commerçans, deux rentiers et un artiste peintre. Dans ce jury, du moins, les négoces les plus divers étaient représentés : il y avait un coiffeur, un marchand de vin, un épicier, un marchand de bois, un parfumeur, un entrepreneur d’éclairage, un marchand de meubles et un entrepreneur de peinture.

Nous n’entendons, quant à présent, tirer de tous ces faits aucune conclusion. Qu’il nous suffise de constater, sans la moindre critique, qu’à Paris, dans le temps où nous sommes, les affaires les plus délicates, celles qui engagent les plus hauts problèmes de la criminalité, sont toujours soumises à un jury composé en majorité de petits négocians.

Quant à la minorité, il suffit de jeter un coup d’œil sur le tableau que nous avons dressé tout à l’heure pour voir de quels élémens il se compose. Après les négocians, viennent les rentiers et propriétaires. Et ces deux groupes, fournissant ensemble 1 122 noms, laissent bien peu de place aux professions libérales,