Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/596

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qui frappe tous les yeux en ce moment en France, c’est l’absence de tout parti organisé et acceptant franchement la lutte contre la coalition du radicalisme, du socialisme et de l’anarchie.

Je voudrais rechercher de quels élémens se compose cette coalition, à l’aide de quelles armes on peut la combattre, comment doit se constituer un parti de lutte, et quel doit être son programme d’action.


I. — INDIFFÉRENCE POLITIQUE

Ceux d’entre nous qui reprochent aux Français de haïr la politique, ne sont-ils pas injustes envers leurs concitoyens ? Après dix révolutions, ce que n’a vu aucun peuple organisé en un siècle, il est tout naturel qu’une nation se sente épuisée ou profondément sceptique. Depuis la chute de l’ancien régime que la France a voulue, depuis 1790, on peut affirmer qu’elle n’a souhaité d’avance aucune de ses révolutions : elle les a subies, employant toutes ses ressources, toute son intelligence, la force d’un travail incomparable, à réparer l’édifice lorsqu’il avait été ébranlé. Au lieu de se révolter, la masse laborieuse acceptait la nouvelle constitution, sans arrière-pensée, pour en tirer le meilleur parti ; ne se souciant guère de la forme politique et de l’effigie des monnaies, elle se remettait à l’œuvre avec une vigueur nouvelle, sachant bien que l’État, quel que fût son nom, ne toucherait pas aux instrumens de son travail, respecterait sa propriété, ses intérêts, son pécule, parce que l’impôt, le budget, la force même de la France y étaient attachés. Cette confiance s’appelait la sécurité publique.

Entre la nation qui paye sans marchander les contributions et le gouvernement qui assure en retour la protection des personnes et des biens, il se fait un échange de promesses : ce pacte est le véritable contrat social, reposant non sur des chimères, mais sur la réalité des choses.

Ce que le Français possède est son grand souci. Interrogez l’habitant des campagnes dans son champ, celui des villes dans son atelier ; écoutez leurs réponses : ce sont les forces vives du pays que vous toucherez du doigt. La propriété est leur passion. Pour le paysan, la terre, pour le commerçant son magasin, pour l’industriel son usine, pour l’ouvrier son marteau, pour tous l’épargne qu’il a pu amasser sou par sou et qui est le noyau de son pécule, tout cet ensemble constitue à leurs yeux le gage de leur affranchissement et l’espoir de leur vieillesse. Souvenez-vous de ce pauvre logis recouvert en paille qu’on appelait jadis cabane