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que je dise aux hommes et aux enfans qui se soucient de mes conseils est : « Ne faites pas de dettes ! Mourez de faim et allez au ciel, — mais n’empruntez pas. Essayez d’abord de mendier, — je ne défendrais pas, si c’était réellement nécessaire, de voler. Mais n’achetez pas de choses que vous ne puissiez payer !

Et de toutes les espèces de débiteurs, les pieuses gens qui bâtissent des églises sans pouvoir les payer sont les plus détestables fous, à mon avis. Ne pouvez-vous pas prêcher et prier derrière une haie ou dans une carrière de sable, ou dans une charbonnière, d’abord ?

Et de toutes les variétés d’églises qu’on bâtit ainsi sottement, les églises bâties avec du fer sont pour moi les plus damnables.

Et de toutes les sectes de croyans, Hindous, Turcs, idolâtres de plumes, et adorateurs de Mumbo Jumbo, de soliveaux et de feu, qui ont besoin d’églises, votre moderne secte évangélique anglaise est pour moi la plus absurde, la plus entièrement inacceptable et insupportable ! Toutes choses qu’on aurait pu trouver dans mes livres, — et toute autre secte que la vôtre l’eût fait, — avant de me donner la peine de le récrire.

Toujours, néanmoins, et en disant tout cela, votre fidèle serviteur,

John Ruskin.


Voilà le côté abrupt de cette franchise, où il pousse plus de ronces que d’herbes bienfaisantes et nourricières. Encore faut-il noter que le maître ne se ménage pas plus lui-même qu’il ne ménage les autres. Bien souvent, dans les Præterita, il parle des « folies et des absurdités » de sa jeunesse ; il raille le style pompeux des Modern Painters et du temps où s’il avait à dire à quelqu’un que sa maison brûlait, il n’eût jamais dit : « Monsieur, votre maison brûle, » mais : « Monsieur, la demeure dans laquelle je présume que vous avez passé les plus belles années de votre vie est consumée par les flammes… » Il réimprime hardiment ses textes défectueux, tout en confessant ses erreurs, et, ayant parlé de M. Gladstone avec le sans-gêne que l’on sait, sans bien le connaître, il efface d’une édition suivante les phrases violentes, mais laisse un espace blanc, en souvenir du jugement injuste, dit-il, qu’il a porté. Il se rend justice à lui-même et à la vanité de la littéraire. En 1870, lorsque ses amis l’adjurent d’écrire au roi de Prusse pour détourner les canons allemands des cathédrales gothiques de France, qu’il admire par-dessus toutes, il s’y refuse, appelant ses amis de « vains amis qui s’imaginent qu’un écrivain a quelque pauvre pouvoir d’intercession » auprès du souverain pratique de la Germanie. Toutefois, il souscrit largement pour le fonds des subsistances pour Paris, avec l’archevêque Manning, John Lubbock et Huxley. Enfin, le jour où il lui semble que la critique d’art ne peut sérieusement améliorer l’art d’un pays, ni même rendre l’impression d’autre chose que des œuvres médiocres, il ne songe pas un instant qu’on pourra retourner cet aveu