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ou bien on les effaçait, on expropriait ces copies dédaignées de leur demeure pour y loger de nouvelles venues. Le papier à bas prix ne sera pas plus fâcheux que le barbare palimpseste.

Une machine à papier, chargée de faire automatiquement le travail compliqué de la main-d’œuvre ancienne, comprend divers organes dont le but est de retirer par l’égouttage, la pression et l’évaporation, les 3 kilos de papier contenus dans les 100 kilos de liquide qui lui arrivent par les épurateurs. Après avoir suivi des labyrinthes de conduits en bois, dont le fond est garni de lamelles en saillie où s’accrochent et s’arrêtent les impuretés échappées aux triages précédens, la pâte aqueuse traverse une caisse percée de fentes très fines, par lesquelles il lui faut passer. Elle arrive sur la « table de fabrication » en quantité strictement limitée par le réglard, dont le rôle est de n’admettre que ce qu’il faut par seconde pour l’épaisseur du papier à fabriquer. Trempez à ce moment le doigt dans la pâte, vous croyez ne toucher que de l’eau.

Ce qu’on appelle « table de fabrication » est une toile métallique sans fin, dont les mailles ont un dixième de millimètre d’écartement, qui tourne lentement sur deux gros rouleaux éloignés de huit mètres l’un de l’autre, et est en outre animée d’une oscillation transversale dont le but est de bien répartir la pâte comme faisait l’ouvrier papetier avec son tamis. Deux bordures mobiles en caoutchouc déterminent, à droite et à gauche, le format du papier. L’eau commence à filtrer à travers les mailles et la pâte à « se cailler » ; il lui faudrait parcourir un long espace sans parvenir à l’état solide si, vers le milieu de son trajet sur la toile, elle n’était soumise à l’action d’une pompe qui, par-dessous, aspire et avale le liquide avec une énergie telle, qu’instantanément desséchée, cette mince couche de blanc peut désormais s’appeler une feuille de papier. Il est vrai qu’elle se soutient à peine ; c’est à ce moment qu’elle reçoit l’empreinte des filigranes. Ceux-ci ne sont-ils qu’une marque de fabrique ? on les fait simplement en fils de cuivre tressés dans la trame métallique du rouleau. Ont-ils pour objet de préserver de la contrefaçon les papiers fiduciaires ? le modèle est d’abord exécuté en relief, à la cire, par un graveur, et reproduit en creux par le moulage au plâtre. La galvanoplastie tire de ce moulage une matrice et une contre-matrice, avec lesquelles on enfonce à même la toile métallique le dessin qui s’incarnera dans le papier.

Après avoir reçu cette empreinte, la feuille s’engage entre deux gros rouleaux de feutre qui constituent la « presse humide », et compriment la pâte avec une puissance de 20 000 kilos. Elle