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On mesure leur vigueur par ce qu’on nomme la « force de rupture. » Dire par exemple d’un papier qu’il possède une force de rupture de 2 000 mètres, cela signifie qu’il ne se rompra que sous une traction de 2 000 mètres de son propre poids. Un papier d’emballage est considéré comme suffisant s’il supporte un effort de 1500 à 1800 mètres ; pour les titres de rente, on arrive à des résistances de 7 000 et 8 000 mètres. Une bande de 10 centimètres de large et de 1 mètre de long, pesant 10 grammes, porte ainsi suspendus, sans se briser, jusqu’à 80 kilos.

Au même rang que ceux-ci figure le papier photographique, soumis à une préparation minutieuse au sel d’argent ou au gallate de fer. Une maison française, grâce à la perfection de ses méthodes, s’est créé un monopole de fait en Europe. Elle vend annuellement pour 2 millions et demi de francs de ce seul papier, tant aux photographes de profession qu’aux amateurs, dont le nombre d’ailleurs tend à diminuer depuis la vogue croissante de la bicyclette. La pédale absorbe, paraît-il, des loisirs qu’avait précédemment charmés l’objectif.

Autre variété délicate où nos fabricans excellent : le papier à cigarette. L’usine qui fournit la régie française possède aussi la clientèle des régies Ottomane, Espagnole, Portugaise, Roumaine, celle de la manufacture royale d’Italie et de la compagnie Laferme de Saint-Pétersbourg. Ses produits sont journellement contrefaits en Orient. Quoique le papier à cigarettes ait pris naissance à Paris, en 1824, dans une usine exploitée aujourd’hui par les petits-fils du fondateur, M. Abadie, cette industrie paraît avoir surtout prospéré dans le midi de la France. C’est de la Haute-Garonne, de l’Ariège, des Pyrénées-Orientales, que sortent ces myriades de petits cahiers destinés à être réduits en cendres. La combustibilité doit être en effet l’une des principales vertus de cet article. Une feuille de 1 mètre carré pèse au maximum 16 grammes, — on est descendu jusqu’à 11 grammes, mais il a été reconnu qu’au-dessous de 12 à 13 grammes, poids des meilleures marques, le papier n’a plus la tenue nécessaire, — une pareille feuille contient à peine un gramme de substances incombustibles. Ce papier doit aussi être imperméable au tabac un peu humide ; pour le rendre tel, on y introduit des matières terreuses, mais en quantités infinitésimales. Comme l’indique le nom de quelques-uns, « papiers de riz », « papiers de maïs », il entre dans la pâte diverses farines mélangées à des chiffons de choix.

L’importance de cette branche de papeterie sera facilement appréciée lorsqu’on saura que tel fabricant emploie 800 ouvriers et livre à lui seul aux fumeurs des deux hémisphères près d’un million de kilos de papier par an, soit de quoi rouler plusieurs