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L’ŒUVRE
D'AUGUSTIN THIERRY[1]


Messieurs,

« L’esprit souffle où il veut », dit un commun proverbe ; et, en effet, ce que nous admirons le plus du talent ou du génie dans la science et dans l’art, n’est-ce pas, quand on y songe, l’impuissance même où nous sommes de les faire naître ? Mais, à défaut d’une liaison constante et nécessaire, si nous ne laissons pas de pouvoir quelquefois surprendre entre les hommes et les lieux de secrètes convenances, je ne crois pas me tromper lorsque j’en trouve une entre votre ville de Blois et le grand historien dont nous célébrons aujourd’hui le centenaire. Oui ! c’est bien ici qu’il devait voir le jour, en Touraine ; dans cette ville de Blois, — où l’on respire l’histoire, pour ainsi parler, comme ailleurs l’éloquence ; — à l’ombre de ce château, rendu fameux partant de tragiques ou d’aimables souvenirs ; sur les bords de ce fleuve de Loire, qui mêle dans l’ampleur de son cours tant de grâce et de force à la fois ; dans cet air privilégié, dont la douceur a fait de votre accent la règle du parler de France. Soyez donc fiers d’Augustin Thierry, si, de tant d’historiens ses émules, n’étant pas lui-même le moins grand ni le moins populaire, nul plus que lui n’est demeuré le fils reconnaissant de sa ville natale ! Soyez-en fiers encore, si le seul reproche un peu grave que l’on ait jamais pu lui faire, c’est d’avoir en histoire toujours pris le parti des vaincus ! Mais soyez-en plus fiers, si cette pitié dont il ne savait pas se défendre pour les victimes des causes perdues, ne l’a cependant

  1. Discours prononcé à Blois, le 10 novembre, pour le centenaire d'Augustin Thierry.