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matière, la loi et le public sont également en défaut. D’une part, il est reconnu que plusieurs faits qualifiés » crimes » et, à ce titre, renvoyés à la cour d’assises, ont moins de gravité que tel ou tel délit déféré par la loi au tribunal correctionnel. D’autre part, il n’est pas vrai que tous les faits qualifiés « crimes », à tort ou à raison, par le législateur, soient soumis au jury.

C’est sur ce dernier point qu’il nous faut insister.

Il y a une pratique, devenue dans tous les parquets banale et quotidienne, encouragée par des circulaires ministérielles, et qui porte le nom barbare de correctionnalisation. Par l’effet de ce procédé, il arrive que le jury, loin de statuer, comme le veut la loi, sur tous les « crimes », n’est réellement appelé à se prononcer que sur les infractions que la magistrature veut bien lui déférer. Les parquets étant de moins en moins disposés à reconnaître la compétence des cours d’assises, il se trouve que tous ceux qui raisonnent sur le jury raisonnent sur une institution qui tend, en fait, à disparaître, lorsqu’elle semble, en droit, dans sa pleine vigueur. Il y a là une situation singulière et grave. Déjà, nous le répétons, la question en France n’est plus de savoir s’il faut réformer notre juridiction criminelle, mais s’il faut enfin en constituer une. Il ne s’agit plus de modifier le jury : en fait, on le supprime. Faut-il le rétablir, et sur quelles bases ? Tel sera le point à débattre.

Mais enfin, dira-t-on, comment font les parquets pour correctionnaliser des faits qualifiés crimes ? Quels sont, en chiffres, en officielle statistique, les résultats d’une telle pratique ?

Sur le premier point, la réponse est trop simple et trop connue, même de ceux qui sont étrangers à la législation pénale, pour qu’il soit permis d’insister. Donnons cependant un exemple : Un vol est commis par un domestique au préjudice de son maître. Voilà un fait qualifié crime et, comme tel, de la compétence de la cour d’assises. Mais pourquoi est-ce un « crime » ? Parce que le voleur était le domestique du volé. C’est cette circonstance qui aggrave l’acte et constitue sa criminalité. En ce cas, pour réduire le fait au caractère d’un délit, le soustraire au jury et l’attribuer au tribunal correctionnel, il suffira que le juge d’instruction et le parquet se mettent d’accord pour oublier la circonstance de domesticité. Dès lors, ce vol, réellement commis par un domestique, ne sera plus qu’un « vol simple », et la correctionnalisation sera accomplie. Le prévenu sans doute pourrait encore plaider l’incompétence du tribunal correctionnel, mais les statistiques apprennent que cet incident est rarement soulevé.

Donc, rien ne fait obstacle au « progrès » de la correctionnalisation. Des lois l’ont consacrée ; celle du 13 mai 1863 défère à