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pis pour nous tous si, en recommençant l’expérience, il leur était donné de la poursuivre trop longtemps !

Au dehors comme au dedans, le nouveau ministère rencontre une situation difficile. Jamais la permanence dans notre conduite diplomatique n’a été plus utile qu’aujourd’hui, car beaucoup de points noirs, ou du moins très obscurs, apparaissent. Il suffit, pour s’en rendre compte, de se reporter au discours prononcé, le 10 novembre, au banquet du lord-maire par le marquis de Salisbury. Ce discours était attendu avec impatience. Il semble que toute la presse britannique, et, il faut bien le dire aussi, la plus grande partie de la presse européenne se soient donné le mot pour le trouver très rassurant : cela porte à croire qu’il y a en ce moment, dans le monde, un désir bien ardent d’être rassuré. Quelque générale qu’ait été cette impression satisfaisante, il nous est impossible de la partager.

Le discours de lord Salisbury se divise en deux parties bien distinctes. Dans la première il est question de l’Extrême-Orient, et dans la seconde de l’Orient méditerranéen. Dans la première, il a montré tout en rose, et dans la seconde tout en noir. Il s’est appliqué à rassurer ses compatriotes sur les dangers qui pouvaient se produire en Chine, et à les effrayer sur ceux qui menacent l’Empire ottoman. Nous souhaitons qu’il ait réussi à dissiper les chimères dont les imaginations anglaises s’étaient alarmées bien à tort, à propos des événemens asiatiques. Quant à l’Empire ottoman, il est profondément troublé, en effet, mais le langage de lord Salisbury n’est peut-être pas celui qu’il eût fallu pour y ramener la tranquillité et la paix.

Une campagne diplomatique est ouverte depuis plusieurs mois au sujet des affaires d’Arménie par lord Rosebery. La Russie et la France s’y sont associées, et nous avons raconté tout ce qu’il a été possible d’en savoir jusqu’ici, c’est-à-dire assez peu de chose. Lord Salisbury a complété nos renseignemens. Lorsqu’il est arrivé aux affaires, les représentans des trois puissances avaient adressé au sultan une demande commune, sinon collective : il s’agissait d’adjoindre un nombre proportionnel de fonctionnaires chrétiens aux fonctionnaires ottomans de toutes les provinces où vivent un grand nombre d’Arméniens. La demande des trois puissances était sur le point d’être accueillie, lorsque lord Salisbury a proposé ce qu’il appelle une alternative. Sa proposition n’était peut-être pas meilleure, dit-il modestement, mais il la croyait « plus acceptable ». Or il s’agissait de maintenir telle quelle l’administration mahométane, mais de la faire contrôler par une commission mixte, c’est-à-dire européenne. Comment lord Salisbury a-t-il pu croire un seul instant que sa proposition était « plus acceptable » que la première ? Il y a déjà, dans l’Empire ottoman, des provinces qui ont des gouverneurs et des administrateurs chrétiens, et depuis longtemps des chrétiens ont été admis dans toutes les branches de l’administration :