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convictions, où il est assurément très respectable : le bonapartiste entêté à espérer le retour des grandes aventures ; enfin l’adversaire loyal, mais intransigeant, n’est pas l’ennemi. L’ennemi est celui qui désarme, même lorsqu’il le fait sincèrement, et qui, soit pour lui-même, soit pour ses enfans, — car les fils n’héritent pas toujours nécessairement des passions de leurs pères, — demande à entrer dans la république et n’y revendique d’autres droits que ceux de tous les citoyens. C’est à celui-là qu’on déclare la guerre. On ne veut pas de lui. On trouve qu’il y a, dès maintenant, assez de républicains, et que, le jour où l’union de tous les enfans d’un même pays serait faite, où nos luttes d’autrefois seraient apaisées, où nous respecterions le passé mort tout en cherchant à tirer le meilleur parti possible du présent et de l’avenir, serait un jour néfaste, un jour maudit. Nous avons entendu retentir les cris de guerre d’il y a quinze ans, et la déclaration du ministère en reproduit elle-même l’écho. M. Bourgeois a déclaré que son gouvernement s’inspirerait du « vieil esprit républicain. » C’en est fait de « l’esprit nouveau » que M. Spuller avait autrefois annoncé, un peu maladroitement peut-être, mais avec beaucoup de courage et d’honnêteté. Nous n’aimons pas, en politique, ces mots d’auteurs qui, à moins d’avoir été longuement préparés et d’arriver au moment où tout le monde les attend, produisent d’ordinaire un effet tout contraire à celui qu’ils se proposent. Personne ne parlait plus de « l’esprit nouveau », mais évidemment M. Bourgeois et ses collègues ne cessaient pas d’y penser comme à un cauchemar, puisqu’ils ont tenu à lui opposer « le vieil esprit républicain ». Malheur aux gouvernemens qui ne savent pas se renouveler ! C’est parce qu’il y en a eu beaucoup de ceux-là qu’il en est tombé un aussi grand nombre en France. M. Bourgeois, qui est un positiviste et un partisan de la doctrine de l’évolution, devrait savoir que le vieil esprit d’autrefois ne suffit pas indéfiniment à tous les âges, à toutes les situations. Le monde politique est dans une transformation éternelle. Si nous jetons les yeux sur l’Europe, il n’y a pas un seul pays qui soit aujourd’hui ce qu’il était il y a vingt ans. Les générations qui se succèdent et qui se remplacent viennent au jour avec des besoins nouveaux. Elles ne comprennent rien à notre « vieil esprit », à nos querelles rétrospectives, à nos mots de passe démodés, et ce n’est certainement pas en lui proposant de revenir en arrière et de vivre des passions qui, après nous avoir violemment émus nous-mêmes, nous laissent aujourd’hui indifférens, qu’on groupera la jeunesse autour de soi et qu’on préparera l’avenir. Cette erreur chez nos gouvernails a déjà produit l’explosion du boulangisme, qui n’a été dans le pays qu’une tentative empirique et grossière, non pas pour changer une forme de gouvernement qui restait la seule possible, mais pour échapper à un « vieil esprit », à une routine politique dont on ne voulait plus. Tant pis pour ceux qui ne l’ont pas compris ! Mais tant