Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’attendait à ce qu’ils en eussent beaucoup ; à vrai dire, ils n’en montrent jusqu’ici aucune. Tout neufs dans le rôle de députés ministériels, ils en pratiquent déjà toutes les obligations avec un dévouement, avec un renoncement, qui surprendrait beaucoup s’il devait être durable. Ils paraissent tenir au ministère de M. Bourgeois comme s’ils en attendaient beaucoup, mais ils ne lui demandent rien. Il faut voir avec quelle vigilance, toujours attentive et empressée, ils écartent de sa route les moindres obstacles qui pourraient le faire trébucher. Si les modérés s’étaient montrés aussi attentifs et aussi soigneux à l’égard des ministres d’hier et d’avant-hier, aucun ne serait tombé. On a parlé d’interroger M. Bourgeois sur ses intentions au sujet des lois contre les anarchistes. Les maintiendra-t-il ? En acceptera-t-il le retrait ? C’est une grave question, mais elle n’a pas pu jusqu’à ce jour être posée. On annonce toujours qu’elle va l’être, et probablement elle le sera en effet, mais non pas par un socialiste. Les socialistes sont trop heureux d’avoir ce ministère, et s’il y a des mécontens, c’est plutôt parmi les radicaux. Il n’est pas jusqu’à l’élection d’un vice-président et d’un secrétaire de la Chambre qui n’ait donné aux socialistes l’occasion de faire étalage de leur sollicitude ministérielle : ils se sont mis en grève et ont obligé les radicaux à s’y mettre pour empêcher les candidats des modérés de passer du premier coup, faute de quorum . Quant à des candidats à eux, ils avaient trop grand’peur d’être battus pour en avoir, et ils sentaient bien que leur échec rejaillirait sur le gouvernement : ils se sont abstenus. Grâce à cette tactique, il a fallu une séance et demie pour élire M. Poincaré vice-président à la place de M. Lockroy devenu ministre, et M. Ernest Carnot secrétaire à la place d’un socialiste qui avait donné sa démission. Que de fausses manœuvres ! que de scrutins nuls ! que de temps perdu ! Les socialistes enseignent aux modérés à soutenir un gouvernement : le ministère leur enseignera-t-il ce que c’est qu’un gouvernement ? Cela n’est pas impossible. En affichant son caractère de radicalisme tranché, avoué, il les oblige à prendre position sur leur propre terrain, à se défendre, bientôt à attaquer, et Dieu sait à quel point ils en avaient perdu l’habitude ! On annonce que M. le président du Conseil, ministre de l’intérieur, est sur le point de faire un grand mouvement administratif et de sacrifier un certain nombre de préfets et de sous-préfets. A la bonne heure, et voilà ce qui s’appelle gouverner ! Les modérés, aussi longtemps qu’ils sont restés aux affaires, n’ont même pas osé déplacer un garde champêtre. Les socialistes et les radicaux ne parlent aujourd’hui que d’épurer le personnel. Soit ! que M. Bourgeois donne l’exemple : ceux qui viendront après lui sauront s’en inspirer, bien qu’en sens inverse, et les partis sortiront enfin de leur trop longue torpeur.

Nous dirons peu de chose des personnes. L’homogénéité du cabinet est toute politique ; elle ne s’étend pas uniformément à la valeur de