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remplacés et centuplés par une génération nouvelle. Cette apparition des jeunes criquets fut particulièrement redoutable en raison de leur voracité ; leurs masses affamées se jetèrent sur tout ce qui avait été épargné par leurs devancières. Elles encombrèrent les sources, les canaux, les ruisseaux, et nos soldats, toujours dévoués quand il s’agit d’un danger public, eurent toutes les peines du monde à débarrasser les eaux de tant de causes d’infection.

En mai, et pendant quelques jours, les populations s imaginèrent toucher au terme de leurs épreuves ; des détachemens d’infanterie n’en restèrent pas moins à la disposition des colons qui s’en servirent pour rentrer dans les fermes ce qui restait sur pied de plantes fourragères. Les soldats qui firent ces corvées ne reçurent cependant plus la prime dont on les gratifiait au début de la crise : une addition de café et de sucre à leur ordinaire fut tout ce qui leur fut accordé.

Grande était la misère, et des secours étaient urgens : le gouverneur fit alors proposer que des souscriptions volontaires fussent ouvertes dans chaque localité. Les indigènes riches et les juifs opulens sont invités à y prendre part, tous les indigènes sans distinction de race et de nationalité devant être secourus. De son côté l’évêque d’Alger adressa à ses fidèles un appel pressant. Il leur rappela qu’au IIIe siècle la peste avait sévi cruellement en Afrique. Saint Cyprien, alors évêque de Carthage, mit tout en œuvre pour provoquer la charité et l’élever à la hauteur de la désolation publique. Ses exhortations eurent le succès qu’un si grand pasteur avait le droit d’en attendre, et l’aumône s’échappant de toutes les mains, non seulement dans les provinces de Carthage, mais encore dans toute la Numidie et principalement à Cirtha, la Constantine moderne, raviva les courages défaillans et consola l’indigence en détresse.

L’amélioration constatée dans les premiers jours de mai fut de courte durée. Au commencement de juin, des éclosions sont signalées et les jeunes criquets vont encore tout ravager. En colonnes aux masses profondes, ils se dirigent comme obéissant à une même impulsion tout d’abord vers les cultures, puis vers les canaux et les cours d’eau. Heureusement qu’à cette époque la plus grande partie des céréales était coupée ; aussi est-ce sur les cultures maraîchères et industrielles, tabac et coton, qu’ils s’abattent et font table rase.

En août le fléau disparaît enfin après avoir été combattu avec une rare énergie par la troupe, les colons et les indigènes. Ce ne fut qu’en septembre que la grande commission centrale chargée des travaux de l’évaluation des pertes et de la répartition des secours put répondre aux questions qui suivent :