Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvent contestable fut malheureusement la seule admise et appliquée dans le théâtre qui nous occupe. Elle en constitue toute l’unité et toute la continuité.

Le mariage y sera donc posé comme une institution inviolable par la force de l’évidence, par le fait du consentement universel. S’il subit, dans Madame Caverlet et dans les Fourchambault, quelques attaques discrètes, c’est que, chez la foule même, son prestige a baissé : les mœurs commencent à réclamer le divorce, la recherche de la paternité et l’amélioration du sort des enfans naturels. Quasi sacré par définition, le mariage devra, en outre, être pratiqué selon l’usage le plus généralement considéré comme le meilleur. Les questions de fortune ne sauraient y être négligées ; n’épousez pas une femme trop pauvre, car la misère deviendrait rapidement une cause de désaffection, sinon de discorde (voir la longue scène du IVe acte de la Jeunesse entre Philippe et Mme Huguet). N’épousez pas non plus une femme trop riche, car elle vous ferait sentir l’infériorité de votre situation vis-à-vis d’elle, et vous perdriez bientôt votre indépendance (voir les cinq actes d’Un beau Mariage). Ayez des enfans, car


…L’amour n’étant pas éternel par essence,
S’éteint avec l’ardeur qui lui donna naissance,
Quand la paternité, son complément divin,
Ne vient pas le doubler d’un sentiment sans fin[1].


En dépit des couplets sur la poésie de l’enfance, évitez pourtant de procréer une trop nombreuse famille, en disproportion avec vos ressources pécuniaires ; Julien, dans Gabrielle, vous apprendra comment on organise son budget, avant de pouvoir « se donner le luxe d’un garçon ». Il est vrai que ce conseil, formulé dans les premières éditions, disparaîtra des éditions postérieures, quand le malthusianisme aura cessé d’être une manœuvre avouable. Enfin, pour achever de relever cet ensemble de belles maximes, notez quelques plaisanteries conformes à la tradition gauloise sur la chasteté trop prolongée chez l’homme, de nombreuses tirades indignées à l’adresse de la femme entretenue, et vous aurez à peu près toute une doctrine sociale de faible envergure philosophique, mais d’un bien terrible bon sens.

Ce grossier bon sens aboutissant parfois à une moralité douteuse, non par excès de lyrisme, — comme chez les romantiques, — mais à force de vulgarité, il ne se démentira pas une seconde, en une seule phrase, en une seule ligne, le long des huit volumes

  1. Paul Forestier, acte I, sc. VIII.