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trois ou quatre ans avant les Effrontés[1], M. Alexandre Dumas avait déjà posé le problème. Son influence, là aussi, paraît n’avoir pas été inefficace, et la preuve manifeste qu’elle continuait à agir, nous la trouverons dans les deux dernières créations d’Émile Augier, dans Madame Caverlet et dans les Fourchambault.

Ici le mot d’influence ne suffira même plus ; il y a davantage ; il y a un reflet si exact des doctrines chères à l’auteur de Monsieur Alphonse, il y a une absorption si complète d’une personnalité par l’autre qu’il serait impossible de ne pas classer à part la brève période occupée par les deux pièces. À la première manière, celle de la Ciguë et de Gabrielle, à la seconde manière, celle du Gendre de M. Poirier et du Fils de Giboyer, il en faut ajouter une troisième ; et celle-ci, issue d’une soudaine et tardive révélation, ne semble pas la moins étrange, quand on considère qu’elle se trouve en flagrante contradiction avec les précédentes. Le tableau apologétique des ménages adultères sanctifiés par l’amour et la fidélité, le relèvement de la fille séduite par la maternité, l’apothéose de l’enfant naturel, les thèses en faveur du divorce et les variations éloquentes sur les devoirs qu’entraîne la paternité illégitime, nous connaissions tout cela depuis longtemps en 1876 et en 1878. Il nous manquait seulement de le connaître par l’entremise de celui qui avait employé trente ans à nous prêcher, avec une inflexible et étroite rigueur, le dogme du mariage.

Cette absence radicale et absolue de pensée individuelle n’est évidemment pas sans exemple dans l’histoire des littératures : de très illustres écrivains furent assez souvent de très médiocres penseurs. On a paru au moins s’en apercevoir, et on le leur a parfois bien durement reproché. Ici, rien de semblable ; et ce qui rend cette partialité plus étonnante encore, c’est que l’éclat de la forme ne dissimule seulement pas l’inanité du fond.


II

Le style en prose d’Émile Augier est assez clair, assez rapide, sans rien qui le distingue ; ses tendances prudhommesques ne suffisent pas à le gâter complètement ; mais ses qualités de précision ne suffisent pas non plus à lui donner beaucoup de relief artistique. Il demeure en somme uniformément neutre et indifférent. Le style poétique, en revanche, ne saurait encourir le même

  1. Les Effrontés furent représentés en 1861.