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ÉMILE AUGIER


I

Le 20 mai 1844, Émile Augier, absolument ignoré alors, faisait représenter sur le théâtre de l’Odéon sa pièce de la Ciguë. C’était une comédie en deux actes et en vers, pseudo-grecque, assez amusante, assez insignifiante aussi, et qui, dès le premier soir, fut saluée par des applaudissemens unanimes. Sans être grand clerc, et sans savoir que Ponsard eût revu et corrigé le manuscrit, on pouvait deviner de quelle doctrine poétique et théâtrale se recommandait le débutant ; la presse littéraire anti-romantique exulta ; les querelles d’écoles, d’autre part, n’empêchèrent pas les amis de Victor Hugo de célébrer le talent moyen, mais réel de l’auteur. Parmi eux, Théophile Gautier, qui pourtant, l’année précédente, n’avait accueilli Lucrèce qu’avec des éloges presque hostiles, se montra un des plus sympathiques admirateurs. Jamais écrivain, pour un coup d’essai aussi modeste, n’avait bénéficié d’une plus heureuse fortune.

Son succès lui ouvrit les portes de la Comédie-Française, et l’échec d’Un homme de bien n’empêcha pas le comité de recevoir l’Aventurière.

De même que, dans la Ciguë, Émile Augier avait pastiché les procédés et le style de Ponsard, dans Un homme de bien il pasticha les procédés et le style de Molière avec conscience et maladresse ; il imita naïvement jusqu’aux platitudes et aux lourdeurs de son modèle ; il copia les tours de phrase ou les expressions du vieux maître, et parfois avec une telle ignorance grammaticale