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et Smeisser, qui révèlent au monde et mesurent ces richesses nouvelles. Il ne faut pas se préoccuper chez nous de former uniquement des professeurs, mais aussi, sinon des prospecteurs, du moins des découvreurs de gisemens et de ressources naturelles.

Un autre acte de médiocre scrupule dans l’observation des contrats se rencontre dans la révocation de la concession accordée à un commerçant, M. Verdier, dans notre colonie de la Côte d’Ivoire. Nous arrivons ici à un sujet que nous ne pouvons qu’esquisser en quelques lignes, celui des compagnies de colonisation. Les immenses solitudes que se sont adjugées, comme on l’a vu au début de cet article, les peuples civilisés, ne peuvent attendre de la simple action individuelle, ni de l’action de l’État, leur premier degré de préparation et de mise en œuvre. Notre territoire colonial comprend huit millions et quelques centaines de mille kilomètres carrés, soit exactement seize fois la superficie de la France ; en déduisant les déserts proprement dits, qui cependant sont susceptibles de culture de place en place, il reste encore au moins dix fois la superficie de la France. Que voulez-vous que fassent de simples particuliers, surtout de petits colons, dans ces immensités ? Si l’on voulait y constituer actuellement je ne sais quelle colonisation démocratique, on peut se demander s’il n’y aurait pas là autant de barbarie et d’inhumanité que d’ineptie. Que pensez-vous que deviendraient ces petits colons français, bretons ou languedociens, perdus au milieu des savanes, de la brousse, des marécages, en région tropicale ou équatoriale, à un ou deux mois de distance de la mère patrie, sans aucune des organisations protectrices auxquelles ils sont habitués et de l’outillage collectif qu’ils ont coutume de regarder comme naturel, routes, ponts, justice, poste, etc. L’idée que l’on procède ainsi avec des atomes en matière de colonisation est une des plus décevantes qui soient. Que l’on essaie d’implanter de petits colons en Tunisie, en Algérie, soit ; encore doit-on y apporter beaucoup de prudence. Mais sur nos huit millions et quelques centaines de mille kilomètres carrés, il s’en trouve tout au moins sept millions qui ne peuvent comporter, à l’heure actuelle et pendant plusieurs décades d’années encore, qu’une exploitation extensive faite par des groupes bien organisés et pourvus de capitaux.

Ces groupes coloniaux, ou plutôt ces groupes de capitalistes qui sont assez hardis pour tenter des entreprises coloniales, il faut les armer de certains pouvoirs, de droits de police, de justice, de fiscalité. Ce n’est pas là une conception arbitraire ; c’est la nature des choses qui le veut, et l’on n’a pas le choix. Ou l’on ne fera jamais rien des huit millions de kilomètres carrés que