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pendant le dernier exercice ; il s’élève à quarante millions cinquante mille francs ; mais je n’ai pas en mains la répartition de cette somme et j’ignore combien de millions ou tout au moins de centaines de mille francs, mais il doit être plutôt question de millions, sont venus grossir les émolumens professionnels du grand metteur en œuvre de l’Afrique Centrale, M. Cecil Rhodes.

Les hommes et les peuples qui réussissent dans la carrière coloniale sont ceux qui ont une imagination réaliste, un idéal très élevé et très ample de grandeur matérielle ; ce ne sont pas les natures très correctes, si vous le voulez, mais pusillanimes et mesquines. Nous ne prétendons pas proposer les grands aventuriers que nous venons de nommer à l’imitation de nos compatriotes. Serait-ce, toutefois, un si grand malheur qu’il s’en élevât quelqu’un parmi nous ; et si quelque Warren Hastings devait nous valoir un Empire Indien, ne devrait-on pas avoir pour lui des trésors d’indulgence ? Nous entendons, au contraire, protester énergiquement contre le bas pharisaïsme, la niaise hypocrisie, l’esprit général d’envie et de suspicion, qui excitent la généralité du public français et du monde gouvernemental même contre toute entreprise, du moment où elle est heureuse, contre toute œuvre, fût-ce d’utilité publique, du moment où elle comporte quelques utilités particulières. Ces fâcheuses dispositions à l’endroit de toutes les sociétés, de tous les capitalistes, de tous les gens, qui réussissent, ne peuvent que river la France à la médiocrité.

On vient d’avoir encore dernièrement un exemple de la jalousie qui s’attache chez nous à tout succès. On sait combien est lent le développement de l’Algérie ; il reposait uniquement, jusqu’à ces dernières années, sur l’agriculture, et celle-ci se montrait peu prodigue de fortune envers les colons. L’Algérie n’a pas de mines d’or, la grande amorce de la colonisation australienne, californienne, australo-africaine ; elle n’a pas de charbon non plus ; quelques bonnes mines de fer, mais assez rares, quelques gisemens médiocres de zinc, voilà les maigres ressources minières qu’elle pouvait joindre à ses peu rémunératrices cultures. Tout à coup, le bruit se répand qu’on y a découvert d’énormes gisemens de phosphates, les plus vastes du monde peut-être, après sinon avant ceux de la Floride. Les phosphates sont un engrais des plus puissans pour l’agriculture, et comme le nitrate fait la richesse du Chili, ainsi les phosphates pourraient faire colle de notre Afrique du Nord. Ces phosphates ont été concédés par la préfecture de Constantine, légèrement ou non, à deux compagnies anglaises ; j’ai vu moi-même l’an