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indigènes, la création d’une série infinie de fonctionnaires français ; il ne s’agit de rien de pareil ; c’est en vérité se donner trop beau jeu que de dénaturer ainsi les idées et les projets des gens que l’on prétend réfuter. Le dissentiment porte non pas sur la méthode intérieure d’administration, mais sur la nature du titre de possession que la France revendiquera sur Madagascar. Or, ce titre de possession, ce ne peut être le protectorat, qui est un mot nouveau, à sens ondoyant et incertain, ambigu et contestable. Nous devons purement et simplement déclarer Madagascar possession française, comme les Anglais ont déclaré les Indes possessions anglaises, et les Hollandais Java et Sumatra possessions hollandaises ; puis, cette possession française, ainsi officiellement et nettement constituée, nous l’administrerons avec le concours de la reine et des autorités malgaches, comme les Anglais et les Hollandais, qui sont les inventeurs de tout ce système, administrent certaines parties de l’Inde, de Java ou de Sumatra, avec le concours de maharajahs ou de princes indigènes. Mais, au moins, nous aurons un titre de possession clair : nous serons souverains à Madagascar et, quoi qu’on en dise, après tout le sang que nous y avons répandu et la centaine de millions au moins que nous y avons dépensée, la France a le droit d’y jouir de la souveraineté, et elle en a même le devoir.

On demandera ce que deviendra en cette occurrence le traité passé avec la reine Ranavalo, et quelles peuvent être les conséquences de la modification que nous réclamons dans notre titre de possession.

Il est manifeste que le gouvernement, MM. Ribot et Hanotaux, se sont efforcés d’exclure de l’acte conclu avec la reine Ranavalo, les engagemens imprudens et les sources de difficultés qui se sont trouvés dans le traité du Bardo. Leur effort est méritoire, mais y ont-ils réussi ? Le traité paraît avoir été emporté ou envoyé de France au début ou au cours de la campagne, alors que l’on ne pouvait pas encore en supputer exactement les sacrifices ou mesurer la complète déroute finale des Hovas. Certes, si dès l’arrivée de nos troupes à Majunka, la reine Ranavalo avait spontanément accepté ces clauses, on eût pu arguer que, pour restreindre au minimum les sacrifices de la France, il était sage de s’en tenir là ; mais après une campagne de six mois, qui aura coûté plus de cent millions et environ quatre ou cinq mille hommes, quand nous possédons Tananarive et que la reine et tout son gouvernement sont dans nos mains, convient-il de se contenter d’un titre de possession qui est incomplet et ambigu ? Ce n’est pas trop s’avancer que de dire qu’il y a eu dans toutes les classes