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nous pensons qu’il serait dangereux de s’en tenir à l’arrangement conclu par le général Duchesne, qu’il faut, soit l’amender, soit le compléter et l’expliquer par un autre acte ou par une déclaration formelle. C’est aussi l’avis de l’homme qui connaît le mieux en France Madagascar et les Hovas, de notre ancien résident à Tananarive, M. Le Myre de Vilers.

Nous rendons, certes, justice à MM. Ribot et Hanotaux ; on leur sera reconnaissant d’avoir établi notre domination à Madagascar ; mais on regrettera qu’ils n’aient pas déclaré, sans aucun ambage, Madagascar possession française ; et nous pensons que le Parlement doit faire cette déclaration dans les termes les plus décisifs.

Il s’est élevé dans beaucoup d’esprits une confusion au sujet des termes de protectorat et d’annexion ; les polémiques des journaux, notamment, sont remplies d’ambiguïtés à ce sujet. Le mot de protectorat est une formule nouvelle, introduite depuis très peu de temps dans la langue coloniale et politique et dénuée de toute précision. On entend par là, en général, qu’un gouvernement établit une sorte de contrôle sur un pays barbare et, sans modifier essentiellement la forme de l’administration intérieure, en laissant subsister, tout au moins en apparence, parfois aussi en réalité, les autorités indigènes, dirige, en quelque sorte par persuasion ou par suggestion, les affaires de ce pays. C’est donc un procédé d’administration ; comme tel, il donne souvent d’excellens résultats quand l’autorité indigène est à la fois solidement constituée, obéie par la population, et docile aux conseils ou aux ordres dissimulés du protecteur. Nul homme avisé et expérimenté dans les affaires coloniales ne contestera les mérites de cette méthode dans les conditions que nous venons d’indiquer. Elle fut imaginée par les Hollandais à Java et à Sumatra : les Anglais se l’approprièrent dans certaines parties de l’Inde, notamment au Kachmir ; des maharajahs, entourés d’une grande pompe et ayant au-dessous d’eux tout un appareil de fonctionnaires indigènes, sont les fidèles agens de transmission et d’exécution des volontés britanniques. Quelques résidens et sous-résidens européens suffisent alors à diriger l’administration de vastes pays. Cette appellation de résident, ce sont les Hollandais qui l’ont inventée et les Anglais, la trouvant bonne, la leur ont empruntée. Mais ni les Hollandais ni les Anglais n’ont pensé qu’ils dussent mettre officiellement le monde entier dans la confidence de ce procédé intérieur d’administration et en rendre en quelque sorte toutes les autres nations garantes. Ils ont considéré cette institution comme une organisation purement domestique,